J’ai une théorie selon laquelle quel que soit le mois d’arrivée sur une mission, il y aura forcément un rapport à soumettre aux bailleurs dans les jours ou premières semaines qui s’en suivent. Pour les plus chanceux, il s’agira d’un rapport intermédiaire, pour les moins ce sera une proposition de projet. Ou bien parfois les deux. Ce type de situation anime les discussions de fin de journée sur le décalage entre la réalité bureaucratique des projets et celle des mains dans le cambouis.
En somme pour simplifier : un bailleur propose un appel à projet sur un contexte spécifique et suivant des thématiques particulières (en lien avec son domaine d’expertise bien entendu). Les ONG soumettent des propositions avec des activités, des résultats attendus et le coût détaillé associé à tout cela. Si on parle de santé mentale, on peut envisager développer un programme de prise en charge des personnes victimes de violences suivant un protocole pour renforcer leur capacité à faire face. Dis comme ça, ça peut paraître simple mais il faut penser à tout : ressources humaines, matériel, lieux, partenaires, transports, coût… tout en respectant les spécificités de chaque bailleur. Et quand on débarque fraîchement, ce n’est pas toujours évident. L’un des grands principes aussi est de proposer des activités qui ne sont pas déjà mises en œuvre par d’autres à l’identique : éviter la duplication. Là encore, difficile d’avoir une vision macro après quelques jours dans ce pays d’adoption. Bien entendu il s’agit d’un travail d’équipe. Ouf.
Ce qui me surprend toujours (mais je suis très naïve), c’est l’urgence que peuvent générer ces rapports et appels à projet. Je l’ai vu sur plusieurs terrains, les collègues qui ne dorment plus pendant plusieurs jours jusqu’à la soumission du document à 23h56 pour une deadline à minuit, les chicanes car le style rédactionnel varie d’une personne à l’autre (l’orthographe aussi) surtout qu’un projet s’écrit facilement à 6 mains avant de passé à la moulinette par tout autant d’autres paires de mains…
Cette semaine a été l’opportunité d’aller sur un autre terrain, plus proche : les activités en capitale. Nous nous occupons d’un programme dédié à la prise en charge du COVID-19. C’est particulièrement intéressant de voir ces activités après avoir travaillé sur un projet dédié aussi au virus lors de mon précédent poste à Paris. L’implication ici est bien plus forte. En France nous étions en appui aux structures associatives, nous assurions la sensibilisation à l’hygiène pour les personnes les plus démunies (avec distribution de kits), nous facilitions la coordination des acteurs sur différentes thématiques (dont la santé mentale) … en gros. J’en garde un souvenir pas tout à fait agréable, même avec un peu de recul maintenant. Ici, les collègues sont clairement en première ligne : dépistage, suivi des contacts, sensibilisation, psychoéducation notamment sur toutes les croyances associées au virus, premiers secours psychologiques. Ainsi, je me retrouve à déambuler dans un quartier aux habitations sommaires et aux chemins de terre parsemés d’obstacles. Une grand-mère tient à me parler, nous échangeons des banalités et lorsque je me retourne, je vois tous mes collègues en train de me filmer. Drôle de ressenti.
Je ne sais pas si c’est mon expérience parisienne qui m’a retourné les neurones mais j’ai l’impression de patauger avec ce programme.
Ce matin-là je disais aux équipes que j’étais bien mieux au Cameroun qu’en France avec la hausse des cas… j’ai parlé un peu trop vite car l’après-midi nous apprenions qu’un de nos collègues du bureau de coordination a été testé positif. Celui-ci a fini son contrat il y a 10 jours ce qui laisse penser que si nous avions été exposé, certains d’entre nous auraient déjà manifesté des symptômes. De plus nous avons nos masques, une station de lavage des mains obligatoire à l’entrée et la prise de la température quotidienne. Mais bon le mot d’ordre est simple : télétravail et dépistage puis surveillance. C’est vrai que ça m’avait manqué le coup du coton-tige dans le nez…
Pendant un instant, avec un collègue, nous réalisons la possible propagation via les cas contacts dont nous pourrions nous-même être responsables et du coup les autres ONG susceptibles d’en être impactées y compris avec nos déplacements terrain.
En fait, je n’avais jamais vu les choses sous cet angle car avec le confinement parisien, il faut dire que la vie s’était arrêtée. La chaîne de propagation possible était courte chez moi. Très courte. Mon ficus peut-être.
Matinée dépistage façon teambuilding. Nous attendons notre tour, c’est bien long. Bénéficiaires de notre propre programme. Drôle de circonstance. Ils désinfectent tout à la javel après chaque passage (clairement plus de précautions que lorsque j’ai été dépistée à Paris) et nous passons d’une chaise à une autre (désinfectée donc et passablement humide) en attendant le coton tige. Je suis donc sur l’avant-avant-dernier siège. L’un de mes collègues camerounais donne ses informations personnelles. A la question « avez-vous des symptômes types toux, écoulement, maux de têtes… » il précise qu’il est constipé. Spontanément je lui recommande du jus de pomme. Il m’explique qu’il mange beaucoup de porc. Nous parlons transit en attendant notre tour pendant qu’une autre collègue se triture les ongles sur le dernier siège, celui du test.
Mon tour arrive.
Je rentre me confiner.
Le lendemain, fin de journée : je suis négative.
Une collègue d’une autre ONG propose qu’on célèbre nos résultats négatifs.
Tous les prétextes sont bons on dirait.