Ça faisait longtemps…

C’est l’histoire d’une jeune fille, moi, un brin naïve partant en Birmanie qui a, malgré les appréhensions, découvert le monde de l’expatriation. A mon retour, la mission m’avait donné l’envie de retourner vers ma formation initiale de psychologue. Quelques mois plus tard, je retrouve les bancs de la fac, les cours tapés à l’ordi, les partiels, les travaux de recherches pendant mes congés, je valide ce DU, puis mon enthousiasme m’amène en Jordanie. C’était l’année dernière.

Un pays formidable, un poste RH plutôt riche, une équipe de canadiennes génialissimes. Et puis un retour à Paris, douloureux. Très douloureux. Beaucoup de doutes, d’angoisses, le sentiment d’être perdue, isolée. Avec quelques personnes, comme des phares, dans le creux des vagues d’émotions. Je m’accroche à mon petit radeau. J’attends que les tempêtes passent. Il y en a toujours une nouvelle. Elle passe. Des gens s’éloignent, d’autres restent. Le tri qu’impose la vie, les événements. Malgré tout cela, j’essaie d’avancer professionnellement car il n’y avait à ce moment-là quasiment plus que mon travail qui nourrissait mon quotidien, avec toutes les conséquences. J’ai renoué avec la clinique en m’engagement bénévolement comme psychologue auprès de l’ADSF, belle et petite association. Puis une nouvelle année arrive et je souhaite repartir. Fuite ou non. Ce détail n’importe que peu.

Face à ce sentiment de pesanteur écrasante, je n’imaginais qu’une révolution. Là où d’autres me demandaient si une évolution ne pouvait pas suffire, je tenais à mon idée de révolution, d’un changement brusque, d’un renversement. Et c’est là où cet état d’esprit m’a conduit à démissionner de MdM pour rejoindre ACF sur un poste terrain en santé mentale. Et pas n’importe quel terrain, la République Centrafricaine. Mon premier contexte d’urgences.

Ce choix a su provoquer un certain nombre de réactions très vives, je ne citerai personne. La méconnaissance du contexte, la médiatisation des conflits poussent certains à piquer. J’ai eu des “faut être totalement stupide pour vouloir aller là-bas” / “pas besoin d’aller si loin pour aider des gens si c’est ça ce que tu recherches ” / “comment peux-tu faire ça à ta mère?”. Sur le coup, ça fait quand même un peu mal. Puis j’ai décidé de les mettre en arrière-plan. Ces réflexions, extrêmement culpabilisantes, n’aident en rien. Elles effacent totalement qui je suis, elles ignorent ma volonté, elles se soustraient à ma réalité, réalité professionnelle, amicale, familiale, sentimentale.

Mais heureusement il y a ces autres personnes, la majorité, qui me soutiennent, m’encouragent, soulignent la richesse de cette expérience à venir et sont simplement heureuses de voir ce projet aboutir.

Reprendre ce blog a un goût amer. C’était un lien père-fille dès le début. Mon père a été le premier à s’abonner à Gisèle en Longyi. Il y a un peu plus d’un an, lorsque j’exprimais mon manque d’entrain à tenir ce blog depuis Amman, sa réaction était claire « Mais quoi Gisèle ne veut plus écrire ? Je rêve ! ».  Chaque article était l’occasion d’une réflexion sur la forme et le style, sur le fond et les idées qu’il aurait aimé que je creuse davantage. Alors j’honore son souhait, je témoigne, je partage, je confesse un peu aussi.

Pour l’heure, les tribulations de la sous-location prennent le dessus. Les « Qu’est-ce que je mets dans ma valise ? » « Quels vaccins me manque-t-il ? » « Combien d’aller-retour en banlieue me faudrait-il pour vider ma penderie ? » circulent dans ma tête. Il faut remplir ma trousse à pharmacie, il faut choisir les bonnes paires de chaussures, les bonnes lectures. Je remonte la rue pour aller au métro en regardant mes pieds et en imaginant le sol que je foulerai dans quelques semaines à peine, la piste ocre et boueuse à cause de la saison des pluies. J’écoute les bruits de Paris en me demandant lesquels animeront le quotidien de Bangui. Je repense aux sons que les geckos faisaient en Birmanie. Je repense à la mélodie du camion à gaz d’Amman. La plupart des commerces sont fermés jusqu’à mon départ, je quitte mon appart’ avant les dates de péremption des derniers produits qui traînent dans mon frigo. J’entame les apéros pré-départ au gré des vacances de mes amis. Je salue chaleureusement mes collègues. Je reçois mes dates de briefing. Je reçois mon premier vaccin. J’ai un peu l’estomac noué. Je reçois mon billet d’avion. J’ai un peu la gorge nouée.

L’aube d’un départ ramène les autres expatriations comme la marée. La Birmanie, essentiellement. Ma responsable à cette époque plaisantait sur mon futur départ Birman :”on ne va tout de même pas envoyer Clara en RCA, un couteau entre les dents!”. Un présage ? Je n’avais jamais foulé l’Asie avant cette expatriation en 2014. Je n’avais jamais foulé l’Afrique avant cette expatriation en 2018. Et une semaine avant la Jordanie, j’écrivais :

 Pourquoi me remettre là-dedans? Pourquoi soulever le tapis qui cache la poussière ? Mais en même temps 6 mois, ça ne représente qu’un tas de poussière plutôt modeste. Est-ce que les autres expat’ sentent un poids les saisir par les épaules à l’approche du départ ? Est-ce que l’inconnu possède pour tous un charme obscur et inquiétant?

Alors je repense à Guillaume me citant Richard Bach : « Tu cherches les problèmes parce que tu as besoin de leur solution ».

Et puis, je relis la définition de “révolution”: retour périodique d’un astre à un point de son orbite / Rotation complète d’un corps mobile autour de son axe.