Ligne pas tout à fait droite

Un matin il y a beaucoup de brouillard. Sans doute autant que dans ma tête au réveil après une nuit aléatoire.

Encore de la route pour se rendre dans une ville qui porte encore de très nombreux stigmates du conflit. La majorité des bâtiments ont les fenêtres brisées, souvent remplacées par du contreplaqué. Il y a des bâtiments détruits, certains masqués par une toile. Certains sont criblés d’impacts. Et voilà deux hommes en train de réparer les gouttières. La reconstruction n’attend pas.

J’échange avec les autres acteurs, locaux et internationaux. Les besoins de soutien psychosocial sont énormes me disent-ils tous. Mais j’aimerais comprendre un peu plus en détail. OK les besoins sont énormes mais concrètement quels sont les facteurs de résilience ? sur quoi pouvons-nous nous appuyer pour aider ces personnes ? Quels sont les troubles les plus fréquents ? Car on a vite de penser « PTSD » mais ce n’est pas nécessairement le cas sauf qu’il n’y a aucune évaluation qui permet de m’apporter mes réponses. Alors nous allons la mener nous-même… Ça me rappelle au Cameroun, nous présupposions parfois que les personnes souffraient de stress post traumatique en lien avec les attaques terroristes et puis lorsque nous regardions les suivis en détail, il y avait plutôt des troubles anxieux, parfois de la dépression mais mois de stress post traumatique qu’on aurait pu le penser.

Nous quittons la ville, le chauffeur met la radio. On écoute la macarena. La macarena en laissant derrière nous cette ville au charme détruit.

Nous discutions avec une collègue expatriée du côté insolite de se retrouver ici, de l’imprévisibilité de notre métier. Elle me dit « mais quand je repense à lorsque j’avais 14 ans, jamais j’aurais imaginé me retrouver dans toutes ces villes, partout dans le monde ».

Un collègue ukrainien me demandait pourquoi j’avais décidé de travailler dans ce milieu-là car lui estime qu’on sacrifie une partie de notre vie dans l’expatriation. Je lui ai répondu que je ne vois pas vraiment de sacrifice car ce choix de carrière nous fait vivre des multitudes de situations inoubliables, dans le bon comme dans le mauvais, il nous amène à rencontrer des personnes qu’aucun autre chemin nous aurait fait nous croiser. Alors oui l’instabilité n’est pas confortable…

Un soir, bloqués au restaurant en attendant que la sirène passe, nous parlons du concept de « maison ». Pour certains la maison c’est « chez les parents », d’autres l’appart qu’ils possèdent, pour d’autres c’est la mission sur laquelle ils sont. Je réalise que quelque part, Yaoundé était un peu devenue la maison. Une météo agréable, les repas entre amis, les habitudes, les voisins me connaissaient, les gardiens me saluaient. Maintenant je dois tenter de reprendre mes marques à Paris. En tout cas pour le moment. Enfin, quand je serai de retour.

Et puis dans un contexte comme celui-ci, lorsque je vois les personnes qui passent d’une ville à l’autre à la recherche de la sécurité, de l’accès aux services de bases, d’un minimum de confort, je me dis que la maison doit avant tout se trouver à l’intérieur. Les témoignages des hommes qui ont envoyé femmes et enfants dans des endroits plus stables (parfois même à l’étranger), des familles qui veulent rester, des personnes qui ne peuvent pas quitter les zones contrôlées, celles qui refusent de partir. Je cherche actuellement à recruter une équipe de psychologues pour l’un de nos projets. Tous ont perdus leur travail au début de la guerre et certains font des jobs en attendant.

Allez, samedi soir, je suis dans mon petit passage parisien. Digérer les frustrations, prendre un peu de recul. Faire des nuits sans interruption. Me remplumer un peu.