Camerouniversaire 8

Parfois je me demande « mais qu’est-ce que je fou là ? »

On est lundi soir, la veille de mon « camerouniversaire #8 » et y’a la petite boule du vide dans le ventre. Je repense à quand je suis à Paris, à toutes ces soirées que j’ai pu passer seule à mater mes séries, à bouquiner. Je me rappelle la forme de soulagement lors du premier confinement à me dire « ce n’est pas grave si je n’ai pas de vie sociale très développée car on ne verra pas la différence ». Je crois que samedi dernier est le premier samedi où je ne sors pas avec les ami.e.s d’ici. J’avais commencé à me préparer sans motivation. La pression sociale de « faire quelque chose », remplir cette petite boule vide.

Début avril j’ai pris 9 jours de break, un passage un France, bien rapide. L’angoisse de revenir au Cameroun. Plus prononcée qu’au premier. Je ne sais pas trop pourquoi. Je me rappelle de cette sensation de décalage lors de certains breaks de la RCA où la réalité du quotidien était tout autre (et nettement moins confortable qu’ici à Yaoundé). Revenir en France c’est aussi envisager le retour définitif, la fin de mission, que faire ensuite ? Et honnêtement ça donne le vertige.

Face à moi, une grosse vingtaine de photos, les amis, la famille et même des souvenirs de précédentes missions. Un rappel de la continuité. Un rappel que le vide n’est qu’une sensation fantomatique. Je ne suis pas seule. Mais je me sens seule.

A peine revenue de break que nous devions finaliser un appel à projet visant la prise en charge des victimes de violence (en général) et particulièrement des violences basées sur le genre. Je partageais mes inquiétudes et mes doutes à l’une de mes collègues camerounaises car qui suis-je pour décider de ce que nous allons développer comme prise en charge psychologique ? Moi, femme blanche, privilégiée, avec mes concepts bien occidentaux appris sur les bancs de la fac. Ma collègue a su faire preuve d’un grand sens pédagogique : elle prend un exemple en me disant “Mais regarde, tu vas dans un village et tu demandes ce dont ils ont besoin, les gens peuvent te répondre qu’ils veulent un centre de santé car ils sont tout le temps malade. Toi tu entends la demande mais tu remarques aussi qu’ils puisent leur eau dans le marigot (le fleuve) à côté qui est insalubre et qui les rend malade, tu vas donc proposer quelque chose qui s’attaque plutôt à ce problème” et elle me rassure en me disant que le projet que je propose se base sur des éléments concrets. Mais pour moi, le décalage entre ma vision dans mon petit bureau de coordination en capitale et la réalité du terrain en brousse (beaucoup de réfugiés de ce côté-là) me donne parfois un peu le vertige et me questionne sur ma légitimité.

Ces décalages nourrissent ma petite boule du vide.

Mon job est de trouver des sous pour développer des programmes, pour développer mon département.

Oui j’apprends des choses et pense à Guillaume qui me parlait de la formation en calligraphie de Steve Jobs et comment tout cela un jour a pris sens.

Mais là, je ne vois pas trop de sens.

Je ne suis pas dupe, toutes ces belles rencontres au Cameroun, tous ces chemins de vie qui se croisent se disperserons aussi à un moment donné, avec le temps.

Alors il reste quoi ?

Des projets dont on ne sait même pas si on va les obtenir, des liens éphémères, beaucoup d’énergie… et pour quoi : l’expérience personnelle ? la beauté de l’instant ? des souvenirs qui resteront dans ma tête?

Le temps passe si vite. Parfois je me dis qu’à ce rythme, je vais me réveiller un jour seule. En fait non, pas mal de personne ont déjà projeté cette idée sur moi. Il y a du vrai.

8 mois en Jordanie j’avais fini ma mission. 8 mois en Birmanie j’entamais les dernières semaines. Là, sur le papier, encore 4 mois. En réalité, peut-être plus.

Disons que c’est le creux de la vague. Je dois remonter sur ma planche et continuer de ramer.