Banguiversaire #1

Déjà un mois et curieusement ce Banguiversaire se déroule à Paris. Si je repense aux débuts de cette mission, il y a eu une nette différence d’avec mes premiers pas jordaniens. J’étais loin d’être à l’aise même si je savais que les choses s’arrangeraient. Le stress des premiers instants a bien mis quelques jours à s’apaiser. Pourtant je suis (presque) dans ma langue natale, mais l’étourdissement ne se situe pas dans les cordes vocales. L’étourdissement vient de plus profondément. Peut-être trop pour être verbaliser justement.

Bangui m’a surprise. Il est difficile de traduire par les mots l’énergie de la ville, les bruits des artisans, des machines à coudre par endroit, des forgerons, le bruit des coups de machettes pour « tondre les pelouses », des bruits des chèvres qui se promènent un peu partout. Le bruit de la circulation nerveuse, de l’agitation des marchés, des autoradios mal réglées. Le bruit des poules dans le jardin ou du vrombissement du générateur lors des coupures de courant de ville. Il est difficile de décrire les couleurs, la diversité des motifs des pagnes, la piste rouge qui commence à teindre les semelles de mes converses. Toujours difficile de décrire la beauté de la colline lorsque les orages arrivent depuis la RDC, traversent l’Oubangui et s’abattent sur le toit en tôle de la maison. Ce n’est pas évident de transmettre la richesse d’un lien qui se créé avec les collègues, à me nouer un peu la gorge au moment de leur dire « à dans 10 jours » car je partais en formation. Je repense à l’idée de lune de miel. Je m’imagine difficilement me lasser. Je pourrai presque comprendre ceux qui restent. Je sais aussi que cet état d’esprit va évoluer.

Ce poste me permet enfin de tester de nouvelles choses, d’apprendre mais aussi de partager mes expériences, d’apporter un regard différent car oui, maintenant, j’ai de l’expérience. Je ne suis plus la Gisèle en longyi des premiers instants. J’ai un recul (parfois relatif certes) et une méthodologie. Je suis patiente et sais m’adapter, grâce à l’expérience. Ce poste est aussi un nouveau départ, une nouvelle carrière, un nouveau champ d’exercice.

Repasser par Paris de façon un peu prématurée vient nourrir encore plus mes réflexions. En si peu de temps le décalage s’est déjà posé mais il s’estompe plutôt vite en reprenant le métro, en traversant le périph, en buvant mon cocktail favori. Un verre de vin devant moi, je raconte un quotidien nouveau de cette nouvelle maison cernée de barbelés et de ce bureau où les tessons de bouteilles cassées décorent la cime des murs de l’enceinte. Le contraste est flagrant, fugitif au bout de 3 semaines, difficile à saisir. Je recherche donc mes repères, touriste dans ma propre ville, à acheter un carnet de tickets de métro faute de pass navigo mensuel.

Comme le veut l’exercice des « expatanniversaire » : quels sont les signes d’adaptation après 1 mois à Bangui ? Avoir déjà quelques endroits fétich’ certes… mais j’ai encore des difficultés à me repérer dans la ville (faute de pouvoir marcher) et mon réseau social reste encore restreint (même si on croise toujours les même têtes) …

Oui donc encore du travail d’adaptation en perspective !

La lune de miel

C’est hier que je me suis souvenue du nom de cette phase dans l’expatriation, celle de la découverte, du partage, des surprises… Le poste est stimulant, je travaille sur des aspects de la gestion de projet insoupçonnés, et les animaux de la maison rendent les réveils agréables. A chaque passage à la piscine (proche des 3 fois par semaine) je réalise la chance que j’ai d’être expatriée, lorsque je me laisse flotter en regardant la lune et les étoiles avec le courant de l’Oubangui comme bruit de fond (la nuit tombe entre 17h45 et 18h et le verbe « tomber » est totalement approprié).

Le week-end passé a été l’occasion de déconnecter autour de la piscine du Ledger, l’un des deux hôtels d’expat à Bangui, avec une collègue. De gros lézards nous regardaient d’un air suspicieux. Les bagnoles des UN peuplaient le parking, quelques expatriés trainaient autour de la piscine… les bestioles flottaient à la surface de l’eau. La lune de miel.

Combien de temps cela va-t-il durer ?

Le déboussolement vient lorsque je me projette déjà dans quelques jours à Paris. On doit se secouer littéralement et rapidement pour créer une routine à l’étranger. On force ses résistances. On dépense une énergie insoupçonnée pour s’établir à des milliers de kilomètres de chez toi. Et pourtant, je passe déjà une semaine de formation au siège d’ACF à Paris. Il y a le plaisir de voir ses proches, de montrer à ma mère que je suis toujours entière, d’en profiter pour ramener à Bangui ce que j’ai oublié dans ma première valise. Mais je suis l’étrangère, je n’ai plus de pass navigo, je n’ai pas mon appartement. J’ai un balluchon chez Lui, des cartons chez mes parents. Le transit est un sentiment curieux.

Je discutais de l’adaptation pas plus tard qu’il y a quelques heures avec l’un de nos stagiaires psychologues. Il me demandait pourquoi j’étais venu ici, en Afrique. Je lui parlais de curiosité, de l’intérêt du poste, de l’opportunité, du questionnement autour du contexte puis j’ai dérivé un peu sur les quelques personnes qui m’estimaient cinglée de vouloir venir ici. Je lui exprimais ma surprise face au sentiment agréable que j’ai à être ici, malgré toutes les règles sécuritaires, malgré toutes les contraintes, malgré les coupures d’électricité… Alors oui, ça va, la situation est stable même si on répète que c’est « volatile », même s’il y a des événements en marge de Bangui. Les militaires pourraient presque se fondre dans le décor de la jungle sans que j’y prête attention. Lui-même se citait en exemple en disant que oui, même à son niveau, s’il va dans le quartier musulman, on va le prendre pour un cinglé, et quand il y passe, tout va bien.

Mais c’est « volatile ».

On le sait.

Ah et notre couple de lapin ont dorénavant des noms : Bangui et Coquette.

Chutes de Bouali

Nous n’avons pas beaucoup de possibilité de sortie en dehors de Bangui. La majorité des lieux sont des no-go pour des questions sécuritaires. Deux possibilités s’offrent néanmoins à nous : les chutes et Bouali et le petit tour en bateau sur l’Oubangui.

Au cours de la semaine nous avons lancé les validations pour passer la journée de samedi en dehors de la ville. C’est vers 9h00 que nous quittons la base en convoi de deux voitures pour deux heures de trajet, pique-nique dans le coffre. Nous remontons vers le nord-ouest, passons par des quartiers animés de Bangui, traversons les marchés, pour peu à peu délaisser les habitations citadines pour des petits villages éparpillés. Nous passons quelques check-points. La vue est belle, verdoyante, le contraste avec la piste rouge et le ciel azur est toujours aussi beau. Le paysage est plutôt vallonné offrant un horizon à perte de vue par moment. Le convoi zigzague entre les nids-de-poule (ou plutôt d’autruche vue leur diamètre).

Nous approchons de notre destination en quittant la route goudronnée pour un chemin de terre. Moyennant 1000 francs CFA, nous accédons au parc des chutes. Une salle de réception se trouve à l’entrée du site mais elle a été pillée/détruite suite aux événements de 2013. Un chemin permet de descendre quasiment jusqu’au niveau inférieur mais saison des pluies oblige, nous sommes rapidement arrêtés à mi-hauteur des chutes qui nous détrempent allégrement. Le débit est impressionnant et il est difficile de s’imaginer qu’à la saison sèche, il est possible de passer sous ces chutes ou de se baigner dans les piscines naturelles creusées par la pression du débit. L’eau me pique les yeux mais le spectacle vaut les irritations oculaires. Hautes de 50 mètres et large de 250 mètres, nous n’avons de notre point de vue qu’un panorama partiel. Un arc-en-ciel rend le tableau féérique. La rivière Mbali jaillit entre les rochers où quelques arbustes ont trouvé la force de pousser. C’est d’ailleurs depuis ce point-là que la centrale hydroélectrique alimente Bangui en électricité.

Nous passons notre déjeuner sur des planches en bois juste au-dessus des chutes. Une sortie qui déconnecte totalement du contexte. Comment un pays avec de si belles richesses naturelles peut-il être dans une situation aussi complexe ? Nous trempons nos pieds dans l’eau fraîche, nous savourons la brise. Puis, peu avant 15h, nous reprenons le chemin du retour afin de rentrer avant la tombée de la nuit. La chaleur est un peu plus écrasante, la ville un peu moins animée, notre teint brillant et notre peau rougi par endroit (ainsi remarque-t-on celles et ceux qui prennent de la doxycycline).

Mais après cette escapade aquatique, nous en redemandions encore plus et avions fini dans la piscine du rock-club à Bangui.

Pas mal pour un samedi…!