Ekié

Et bien me voici quasiment au terme de mon épopée camerounaise. Et si celle-ci s’achève ce n’est uniquement parce qu’une nouvelle opportunité s’est présentée.

En soi, je ne souhaitais pas activement quitter le Cameroun même si je reconnais les signes d’une certaine lassitude. Je me sens bien ici, j’ai mes habitudes, des habitudes qui me plaisent et me rassurent. Les pizzas du vendredi, les « juste un verre » du week-end, la facilité à se retrouver chez les uns et les autres, le confort d’un quotidien qui peut être aussi calme qu’agité. Une facilité à vivre ici, un intérêt pour le travail, des liens forts. Je me disais même que si jamais je devais encore prolonger, j’irai directement jusqu’à janvier 2023.

Puis au mois de Mai je fais un saut en Pologne et rapidement suite à cette expérience, on m’invite fortement à me positionner sur un autre poste qui me permettrait d’appuyer les 3 pays : Pologne, Roumanie, Ukraine. Je me dis que l’occasion est trop belle pour ne pas tenter. Je passe les entretiens et le test écrit. Je prépare deux valises en juillet pour vider un peu mon bazar de Yaoundé en attendant malgré tout une confirmation. Celle-ci arrive finalement pendant mon break. Plantée debout au Monoprix, entre les shampoings et les crèmes pour le corps, j’entends le signal d’un message Skype. Je comprends que mes prochains mois se jouent en face des coton-tige. Réponse positive.

Merde.

Ma première réaction est plutôt mêlée de tristesse et d’inquiétude. Comment quitter mon nouveau cocoon ? J’ai le sentiment de me laisser porter par la réaction des autres qui me soutiennent, me félicitent, m’encouragent à quitter le Cameroun, me disent que c’est le bon choix, le bon moment pour changer d’environnement, que la boucle est bouclée au Cameroun.

Mais je ne ressens pas au fond de moi cela. Je sais que oui, deux ans sur ce type de poste c’est une bonne durée. Je sais que oui, cette nouvelle offre représente une étape dans ma carrière. Je sais que oui, parmi les liens créés ici, les plus solides resteront. Que ce que j’ai gagné ici ne sera pas perdu. Que ce qui sera perdu était destiné à l’être. Et comme me disent mes amis ici, si vraiment le pays me manque, c’est 6h30 d’avion.

Mais je stresse. Je vois les jours défilés et me demande comment je vais gérer cela. J’ai demandé au siège de me prendre un billet retour le plus tard possible comme pour reculer le plus possible les larmes qui m’attendent.

Je ne suis pas bonne pour les séparations.

Je suis repassée à Maroua début août. Là où tout avait commencé. La région par laquelle j’ai découvert le Cameroun. A cette période, les collines sont exceptionnellement vertes. Je boucle des boucles. Ma référente du siège était là et j’étais plutôt contente de pouvoir lui montrer ce qu’on a réussi à mettre en place au Cameroun.

Je reste un peu dans le déni.

Les RH m’ont demandé la date de mon départ. Le dernier moment possible ? mercredi 31 au soir. Je perçois déjà les vagues que je vais me prendre en pleine face. Mais j’ai la chance d’être bien entourée : ici, mes amis me soutiennent, là-bas, ils sont prêts à m’accueillir de nouveau. Bon finalement je pousse un peu encore, retour prévu le 4 septembre. Je ne pourrais pas pousser davantage puisque je suis sensée commencer le nouveau poste le 8 septembre.

Il y a quelques jours j’ai réalisé combien la période août / septembre était devenu une période de rupture. Ruptures sentimentales, ruptures géographiques (aller et retour). RCA et Cameroun ont démarré fin août pour finir fin août / début septembre. J’ai connu aussi quelques ruptures affectives à la même période (et je crains de continuer sur ce chemin…). Allo Freud ?

Je sais déjà que ce n’est pas très malin d’enchaîner comme ça.

On verra.

3 semaines plus tard.

Le détachement en Pologne a touché à sa fin. Trois semaines qui ont semblées longues et rapides. Longues car il y avait tellement d’informations nouvelles, de discussions étalées sur les protocoles que nous utiliserons, des trajets en voiture ou en avion pour rencontres les équipes, les partenaires, être sur site. Rapides car je rentre déjà à Yaoundé.

J’ai un regard assez ambivalent sur la réponse des ONG. En réunion, je voyais la liste des appels à financements, les fonds proposés par les différents bailleurs étatiques, des millions et des millions sur le tapis. Face à cela, j’échange avec d’autres humanitaires, des Polonais, des Ukrainiens : aucun ne sait quelle direction la crise peut prendre. Un ami était déployé en Ukraine pendant quelques semaines, de passage à Varsovie avant de repartir sur un autre continent. Il me disait explicitement être écœuré : des fonds délirants, des ONG qui ne savent pas comment dépenser cet argent et qui ont finalement du mal à trouver « des bénéficiaires » car les Ukrainiens font preuve d’autonomie : certains reconstruisent déjà leur habitation, ils retournent chez eux et ne restent pas dans les autres pays limitrophes. Tout cet argent mis sur la table est bien entendu retiré d’autres tables. Lorsque j’étais à Yaoundé au tout début de la guerre, la représentant des fonds Suisse m’a clairement dit que pour le moment, elle ne pouvait pas dégager d’enveloppe pour le Cameroun.

Par contre, mon ami reconnait que les besoins en santé mentale sont énormes. Malheureusement comme dans de nombreux pays, les soins de santé mentale sont synonymes d’institutionnalisation, de psychiatrie… Les études menées par l’OMS soulignent qu’environ 23% de la population souffrira de troubles mentaux (d’intensité variable) dans des situations de conflits, en général. Pour l’Ukraine, on estime que 4 millions d’adultes et 1 million d’enfants (sur une population de 18 millions) sont à risque de développer des troubles de la santé mentale en lien avec le conflit et le reste souffrira de détresse psychologique. Effectivement les volontaires sur l’un des sites de transit où nous menons des activités nous rapportent de nombreuses situations : enfants agressifs ou désorientés, parents déprimés, des cas à la limite de la psychiatrie, l’anxiété domine mais la solidarité rassure.

Sur une note un peu plus légère, avec les collègues, nous « rigolions » des conditions de vie d’une mission d’urgence dans un pays développé à une mission d’urgence dans les pays « habituels ». Ici, au bureau, la machine à café est absolument intimidante : 4 têtes, il faut moudre son café, réaliser sa mousse de lait etc. Au Cameroun je me contente du nescafé soluble (et pas vraiment bon) et parfois même j’ajoute du lait en poudre, grand luxe ! ici j’ai le choix entre lait de coco, lait d’avoine, lait demi écrémé, lait entier…

Je repense à ma première nuit, anxieuse, et là je me dis que mince, ce n’était pas si mal quand même ici : des équipes intéressantes, des personnes qui ont du répondant, qui questionnent, qui poussent la réflexion. Des consœurs psychologues polonaises et ukrainiennes aux parcours variés. Intellectuellement très stimulant. Géopolitiquement très formateur aussi (moi qui ne m’intéresse pas du tout à la politique pourtant). Un quotidien qui offre des moments de loisirs sympathiques et peu onéreux. Une vie culturelle aussi riche et passionnante. Cela va paraître peut-être maladroit comme formulation mais je me sens chanceuse de vivre ça, de passer d’une réalité à un autre.

Alors ces changements ont quand même un coût : j’ai dormi toute la journée du samedi et une bonne partie du dimanche. Et j’arrive ce lundi au bureau, comme si je n’avais pas coupé, mais les équipes sont contents de me retrouver (ou bien ce sont peut-être les caramels polonais qui font cet effet…).

En attendant, on est là.

Petite saison des pluies

Gisèle est toujours là. Elle a raté quelques camerouniversaire mais peut-être que c’est comme l’âge des femmes, à un moment c’est impoli de le demander. Etonnamment me voici dans ma plus longue expatriation et je ressens bien aussi les difficultés et les joies que cela peut apporter.

Sur le versant positif je dirais qu’il y a bien entendu une meilleure compréhension du contexte ce qui permet aussi de mieux aiguiser mes réflexions professionnelles, de proposer des projets plus singuliers face aux problématiques. Sur le plan personnel, il y a une certaine routine qui s’installe, moins de sorties, une évolution aussi dans les amitiés : choisir.

Car cela est quelque chose que j’ai réalisé dans la durée, les rencontres que l’on fait initialement s’imposent le plus souvent à nous. En arrivant, nous sommes en terre inconnue et il est essentiel de former son petit noyau pour éviter le déracinement et la solitude des premiers mois. On ne choisit pas vraiment nos rencontres mais le plus souvent nous nous en contentons, décidant aussi de trier dans notre récit biographique les éléments que nous partagerons ou non. Le temps nous permet de mieux se connaître et de finalement remarquer les personnes avec qui les affinités sont plus naturelles, la réciprocité plus sincère. Bon il y avait certes eu cette rencontre avec Caroline et l’immédiateté du lien mais là nous touchons une autre situation particulière. Nous étions arrivées à peu près en même temps, nous étions H24 ensemble, maison, travail, sorties. Laurel et Hardy.

Les contraintes de la longue expatriation résident dans le déracinement. L’expatrié est comme une bouture sur un nouveau terrain. Plus la durée est longue, plus les racines creusent profondément si bien que la perspective du retour semble d’autant plus déstabilisante. Pour le moment je suis là jusqu’à fin juin (sacré « gloups » quand une amie ici me dit « reste fêter tes 35 ans ici ! »). Niveau professionnel il faudrait que je reste un peu plus pour porter les projets que j’ai écrit le plus longtemps possible. Niveau personnel, je sens la fatigue émotionnelle. Certains amis proches sont partis fin 2021, on sait qu’il y aura d’autres départs dans les mois à venir. La perspective de nouer de nouveaux liens ne me semble que peu envisageable. A quoi bon s’embarquer à nouveau dans cette recherche ? Alors on réajuste un peu les plannings. Je n’ai pas vraiment profité de la piscine durant la saison sèche et c’est déjà la petite saison des pluies.

Je repense à la fin d’année 2020, à notre confinement de contaminées avec Caroline justement, à ce Noël qui n’avait rien d’un Noël, finalement avec une certaine nostalgie. Je me rappelle l’arrivée à Kribi pour la première fois et mon excitation de voir l’océan et encore plus de m’y jeter. Je vois comment le temps file. Je ne sais pas trop ce que je construis car la journée se termine quand même seule. Donc 2022 a son lot d’inconnu. Les stocks d’énergie sont vides. Il faut trouver comment charger les batteries. Trouver le bon engrais pour laisser les racines saines se développer. Eliminer quelques parasites.

Pour 2022, même si je me refuse aux projections, j’ai tout de même quelques envies : un peu de solidité, un peu de simplicité, un peu de clairvoyance, un peu d’exotisme. Est-ce que je vais réellement aller apprendre les massages thaïlandais ?? Est-ce que je vais faire un beau voyage ? Est-ce que je vais voir les amis avec lesquels on se dit qu’on va se retrouver ici ou là-bas ? Est-ce que je vais réussir à quitter le Cameroun suffisamment sereinement ?

En attendant, on tâtonne. J’ai, semble-t-il, trouvé une maison d’édition pour mon guide de l’expatriation pour une publication prévue « fin 2023 » ! 2023 ! alors que 2022 me semble déjà aussi ardu que l’ascension de l’Everest. J’hésite déjà à ajouter deux mois à mon contrat histoire de poser des longs congés en juillet sans l’inquiétude du chômage… Je vois tous ces postes pour la crise en Ukraine et je me dis « mince, ça aurait été vraiment intéressant ».

A la fois bloquée au Cameroun et fixée au Cameroun.