Banguiversaire 4

J’avais entamé la rédaction de cet article et puis mon ordinateur a décidé de claquer sous mes yeux et de faire disparaître dans la nature toutes ses données. Déjà que la semaine commençait difficilement, je dois en plus gérer ces problèmes superflus.

Je devais sans doute commencer par m’étonner que 4 mois soient déjà passés et parler du rythme effréné de la vie banguissoise, de l’absence de temps pour apprécier l’ennui, et de l’effervescence des fêtes. Mais c’est un peu démotivée que je saisis mon clavier pour pondre un banguiversaire 4 alors que ma tête n’est pas vraiment concentrée et que mes cernes se creusent.

Bon, je peux néanmoins cocher la case « passer Noël à Bangui » sur ma liste de vie des expériences non prévues au planning. Même si le 24 a été une journée très dure à encaisser (la jeune fille de 13 ans étant décédée le matin) j’ai réussi à changer mon humeur, vers environ 22h, pour profiter, non sans amertume, du réveillon de Noël chez les collègues de MdM avec confit de canard, purée de courges et patates sautées. Le dîner a été vite englouti pour retourner digérer sur la piste de danse. Une façon originale de célébrer le p’tit Jésus.

L’activité baisse légèrement pour ce mi-parcours, Bangui s’est vidé de ses expatriés (tant mieux pour la piscine) et j’ai presque froid la nuit. Ce ralentissement permettant de finir les journées sensiblement plus tôt m’a donné la possibilité de préparer une chasse au trésor dans le jardin de la maison pour le 25, une autre façon d’activer ses neurones et de courir partout entre les lapins et les palmiers en menant les équipes vers la quête du St Graal (une bouteille de vin). Après 4 mois, la vie à Bangui est une routine, les collègues d’autres ONG sont comme des voisins et voisines de quartier. En faisant mon yoga, j’aperçois un petit gecko déambuler sur mon plafond. En buvant un verre sur la terrasse de la maison, j’entends les rats courir quelque part sur le toit. Coquette, la mère de tous les lapins, se promène maintenant dans la maison. Tout cela semble normal, intégré. Alors où sont les surprises ? pour les mauvaises, elles sont partout. Pour les bonnes… je cherche encore. Heureusement il y a les armoires pleines de termites à écouter et parfois, des fins de journées qui dégagent la même chaleur et la même lumière qu’une soirée de vacances au soleil.

La fin d’année est compliquée au bureau et je me confronte parfois à mon manque d’expérience, à la quasi impossibilité d’anticiper convenablement les choses ici, à tous ces imprévus qui ralentissent la donne et retardent les programmes. Sauf que fin d’année rime souvent avec fin de projet et que je sens cette fin un peu bâclée, en tout cas pour la personne trop tatillonne que je suis. Le côté positif : j’apprends, toujours davantage et même plus en profondeur après 4 mois.

4 mois c’est normalement une période stabilisée, adaptée. Pourtant je cherche du sens face aux événements. Quel est le sens d’une expatriation ? Quel est le sens de la vie en RCA ? Pourquoi mon ordi claque entre mes doigts et pourquoi est-ce que je renverse ma poêlée de pâte par inadvertance le lendemain ? est-ce que je cherche vraiment les problèmes parce que j’ai besoin de leurs solutions ? chercher la difficulté pour dépasser des étapes ? ou peut-être que je n’avais pas vraiment faim…?

Encore 4 mois. Encore envie de faire pas mal de choses avec l’équipe. Nous allons vers la saison très chaude, comme en Birmanie et normalement mon prochain banguiversaire sera à Paris.

Un signe d’intégration après 4 mois ? Certains collègues m’appellent Maman.

L’esprit de noël

Samedi matin, en allant faire mes courses de la semaine, le sentiment du « ah mais c’est passé trop vite » m’a pris. Comme quand je suis à Paris. Comme un 26 décembre. Nous sommes déjà à l’aube de Noël, je prévois d’acheter des vivres supplémentaires pour les fêtes, et depuis mon fauteuil passager dans notre minibus ACF, j’observe les vendeurs ambulants qui proposent des guirlandes et des ananas rouges en papier. Je me dis que déjà, dans une semaine, ça sera finit. Alors je me couche sous une des dernières averses, une odeur de pluie passe par mes fenêtres, mélange de terre et de rouille.

Je me plais à noter les inepties du quotidien comme celle d’écouter l’armoire au bureau être mangée par les termites, provoquant un bruit de rice crispies fraîchement immergés de lait. Pendant ce temps, des terrains brûlent des deux côtés, RDC et RCA, pour « renouveler la terre ». Résultat, une brume trouble l’horizon et une neige noire tombe par-ci et par-là. Les filaments de cendre viennent tâcher mes vêtements.

Je me plais à chanter avec un collègue sur notre terrasse avant d’aller dormir et lorsque des lucioles sillonnent les airs sur un alléluia de Leonard Cohen j’y vois le passage d’un esprit paternel. Ces mêmes lucioles qui venaient danser devant moi, un soir, assise sur des marches en attendant le retour du courant. C’est là, peut-être, la magie de Noël ?

Dans cet entrain nous avons aussi mangé une croziflette (une tartiflettte avec des crozets) à Bangui.

Aussi, dans le cadre de mon poste, nous avons travaillé avec mon adjoint aux activités de fin d’année qui seront animés par mon équipe dans les centres de santé, grosso modo : distribution de petits cadeaux, atelier de fabrication de jouets, ateliers musicaux. Cela a été l’occasion d’aller faire notre liste au Père Noël Banguissois pendant une matinée et de vider les rayons d’un des rares magasins de jouets. Je vous raconterai prochainement comme les activités se dérouleront.

Et puis samedi, j’ai même pu aller à la première édition du marché de Noël tenu devant la cathédrale de Bangui. J’ai pu acheter un de ces fameux ananas rouges et déambuler entre des tas de jouets de qualité relativement… pourrie… mais l’essentiel est que ce marché a lieu, qu’il puisse avoir lieu. C’est un bon signe. La magie de Noël ?

Aussi, fêtes obligent, les expatriés ont plutôt désertés le pays et la piscine est d’un calme… et le soir, nous préparons notre soirée du 24 et notre journée du 25.

Heureusement qu’il y a tous ces moments joviaux pour aller de l’avant.

Je vous évoquais la semaine le cas d’une jeune fille de 13 ans qui venait de passer en soins intensifs. Elle a continué à refuser le lait thérapeutique et a dû être placée sous oxygène en début de semaine. Je ne trouvais pas comment prendre en charge cette situation jusqu’à ce qu’un matin je réalise qu’elle est anorexique, non pas comme un symptôme de la malnutrition, mais comme un diagnostic bien entier. Sauf qu’une anorexique, séropositive, avec la tuberculose et en état de malnutrition aiguë sévère est un problème bien complexe. Mon hypothèse se vérifie auprès de l’équipe soignante qui l’a vu se faire vomir après avoir pris 2 cuillère de lait. Cela vient compléter le tableau que je ne développerai pas ici. Quand je l’ai revu, elle a eu la force de lever son bras et de tendre sa main pour me dire bonjour mais n’en avais aucune pour parler. Sans être médecin je réalise qu’il faudrait qu’elle soit prise en charge à un niveau psychiatrique sauf qu’étant déjà sous 3 traitements, le chef de service ne préconise pas d’en ajouter un supplémentaire. En somme, je vois cette jeune fille sur son lit de mourante, en période de l’avent. Avant le week-end, elle avait perdu encore 600 grammes. On se dit que 600 grammes c’est quoi ? la quantité de beure pour une bûche de noël ? Mais sur un petit corps totalement déchargé d’à peine 22 kilos, 600 grammes c’est impensable.

Et je ne sais même pas si elle sera toujours en vie après le week-end. J’aurais aimé trouvé la faille pour l’aider. J’aurais aimé comprendre comment une jeune fille de seulement 13 ans en arrive là. A approcher seule de la mort dans un hôpital.

Entre deux collines, la brume

La météo change un peu, les nuits sont presque fraîches et le lever du jour se fait dans la brume qui glisse le long des collines du Congo pour s’infiltrer entre les arbres. Le soleil se reflète sur l’Oubangui. La nature est belle. Bien plus belle que la réalité.

La réalité de cet enfant séropositif, de 10 ans mais qui en semble 7, qui ne parle plus. Sa mère est décédée peu de temps après sa naissance et il a été balloté chez un oncle, un cousin, une tante. Nous passons du temps avec lui, pas une expression sur le visage hormis ses grands yeux ronds bourrés d’interrogations et sa peau craquelée par la malnutrition. Finalement, même en silence, il reste avec nous pendant que nous poursuivons les groupes de discussions de la matinée. Il a trouvé un lieu sécure dans cet espace de pratiques de soins.

Ou bien comme cette jeune fille de 13 ans, séropositive aussi, qui ne veut plus s’alimenter. Elle passe de la phase de soins intensifs à la phase de prise en charge aiguë pour retourner en soins intensifs. Elle perd 1,3 kg en moins de 24 heures. Elle me demande comment on traite les enfants « chez vous là ». Elle sait qu’elle peut mourir, son voisin de lit est décédé une des nuits précédentes. Mais elle ne veut pas de lait thérapeutique. Elle veut rentrer chez elle. Parfois, elle veut que tout s’arrête. Parfois, elle dit avoir peur. Je parlais des claques : en voilà une. Je ne sais pas quoi faire. Elle teste le lien en frisant l’insolence. Une ado têtue à en mourir.

On réfléchit, on cherche des solutions. On s’accroche.

Une autre réalité : les tradipraticiens. J’ai animé 2 jours de formation en réalisant qu’ils possédaient globalement un très bon niveau de connaissances sur les « bonnes » pratiques de soins.  Pourtant, nous voyons très régulièrement les effets de leurs pratiques néfastes et connaissons les dangers d’une prise en charge inadaptée. Alors certes, la vingtaine de participants n’est qu’un échantillon peu représentatif de la diversité des pratiques qui ont cours. Mais c’est à se demander s’ils n’entretiennent pas un peu la maladie pour assurer leur business… Par contre ce qui est sûr c’est qu’ils sont parfois les seuls « ressources soignantes » des villages et qu’il est indispensable de leur apporter de nouvelles connaissances.

Sinon Bangui se décore pour Noël, la cathédrale a enguirlandé sa croix à son sommet, les vendeurs de rues proposent des décorations en papier de toutes les couleurs. J’ai failli acheter une crèche samedi. J’ai très envie d’acheter des guirlandes lumineuses… Je pense avec nostalgie au petit sapin que j’aurais décoré si j’étais restée à Paris, chez moi. Et non, je ne suis toujours pas allée voir le magasin de Noël.

Le vertige de la géographie quand en lisant mon livre en fin de matinée je réalise que je touche l’équateur, quand en voiture je réalise vivre à Bangui. Il y a ces lieux où on oublie qu’on est en RCA, ces maisons avec piscine, ces restaurants nichés dans des jardins luxuriants, ce pub qui organise des quizz en anglais avec devant moi une sélection de whisky digne de n’importe quel bar parisien. Mais dans ce vertige, tandis qu’une vague d’expatriés finit sa mission, nous sommes quelques-uns à déjà prolonger de quelques mois. Curiosité ou fascination d’un contexte. Happés dans une réalité aussi désolante que stimulante.

Certains collègues rentrent pour les fêtes, d’autres, comme moi, se préparent à les passer ici. Tic Tac – ça se rapproche très rapidement et au rythme où filent les semaines, ce sera bientôt Pâques. Fin avril. L’aube de ma fin de mission.

Sauf si je prolonge.