Des airs d’ici et de là-bas

Le temps semble déjà passer un peu vite et d’un coup ralentir de façon sidérante. De nature plutôt pressée, je dois composer avec le rythme jordanien et les :”je t’envoie ça demain”. Cela me rappelle étrangement la Birmanie…

D’ailleurs des petits évènements ramènent à ma mémoire le quotidien de Yangon. En me promenant dans la rue, là-bas, je voyais souvent des aliments jetés à l’intention des chiens errants, le plus souvent des restant de riz. Ici, on jette les restes de pita pour les chats errants cette fois, sauf devant l’ambassade de France où on trouve des croissants et des pains au chocolat par terre : très chic !

A Yangon, les corbeaux étaient les maitres du ciel à l’aube et au crépuscule. Ici, les oiseaux chantent le matin et en journée en naviguant par bande dans l’azur.

A Yangon, il y avait de nombreux vendeurs de rue, ici nettement moins, mais il y a les camionnettes vendant des bonbonnes de gaz repérables de loin grâce à leur mélodie singulière, mélange de générique de fin de film et de musique d’ambiance issue du film The Shinning.

A Yangon, c’était les shan noodles à côté de la maison que je dévorais pour un oui ou pour un non, ici, mon choix s’est porté sur les falafel d’un bouiboui non loin de l’appartement. Je vais donc troquer ma bedaine de riz du passé par une bedaine de humus.

Marcher dans les deux villes est assez similaire: trottoirs aléatoires, densité du trafic routier, conduite anarchique… sauf que Yangon est une ville plutôt plate et qu’Amman, la ville des 7 collines, me fait grimper bien souvent 80 marches d’affilée sur mon trajet, parfois plusieurs fois de suite. Adieu donc la cellulite !

Faire ses courses me réservait souvent des surprises à Yangon : un paquet de macaroni au cheddar par-ci, des céréales américaines par-là, des baumes à lèvres introuvables en France… Amman me surprend de la même manière : du dentifrice Crest, des céréales (encore) en forme de petit beignet à la cannelle, une collection de mix à gâteaux betty crocker comme je n’avais jamais vue… et encore bien des choses à découvrir.

Par contre, contrairement à Yangon où la bière devait couter 1,5 euros, ici elle est plutôt a 8 euros. Certes, l’alcool est lourdement taxé mais quelque chose me fait penser que la qualité doit être un peu plus supérieure qu’en Asie…

La location d’appartement semble assez proche sur les 2 continents : loyers chers (à cause de nous, les expatriés), état de salubrité douteuse, paiement de minimum 6 mois à l’avance, propriétaires plus ou moins impliqués. Mais je prendrai le temps d’expliquer un peu plus en détail les logements a Amman.

A Yangon, lors des fêtes bouddhistes, on pouvait entendre depuis des hauts parleurs, les sermons et prières des moines, avec une voix grésillante et monocorde. Ici c’est l’appel de la prière qui résonne à heure fixe, plusieurs fois par jour, avec cette fois-ci une mélodie. D’ailleurs, après le Myanmar, pays aux milliers de pagodes, me voilà au pays des milles mosquées.

Au bureau, il y avait Thida qui me proposait du thé à mon arrivée. Ici c’est Ali qui met environ 8 minutes à faire mon thé (consistant en un sachet et de l’eau chaude) et qui ne me laisse pas le faire moi-même. Il n’arrête d’ailleurs pas de me dire “welcome” dès qu’il passe dans notre espace RH. Je crois qu’il ne connaît pas le sens du mot. Au départ je le remerciais. Au bout de la 10ème fois, je commence à ne plus réagir.

Dans la rue, on me sourit et me salue nettement moins qu’à Yangon. Ce n’est pas plus mal. Mais quelques femmes m’ont néanmoins saluée pour commenter mes cheveux “nice”, des femmes voilées. Amusant. Car sous leur voile, peut-être ont-elle aussi les cheveux bleus, ou roses… ou arc-en-ciel !

Mais à Amman, je peux monter sur mon toit, et profiter de la vue…

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En un trait d’union.

Mercredi soir, la veille de mon dernier article programmé, je reçois mes billets d’avion pour Amman. Départ le 15 janvier à 10h55. Escale à Frankfurt. Arrivée à Amman pour l’apéro. Ouais, non, pas pour l’apéro.

A 22h09. Et mes neurones s’agitent. Comme des parasites, je sens que ça remue, que ça s’affole, que ça gesticule dans ma dure-mère. La nuit va être compliquée. Il y a un mélange entre l’enthousiasme de repartir à l’aventure, d’ajouter cette expérience sur ma ligne de vie d’un côté et la morosité des journées trop courtes mêlée à la fatigue de la fin d’année. Mon stress ne sait plus s’il doit être positif ou négatif. Mais il est là.

Je m’endors donc sur ces pensées pour me rêver en train d’agresser des inconnus dans le métro, manquer ma station, descendre à l’arrêt « BIRMANIE » (maudit inconscient), arrivée 1h30 en retard au bureau. Je rêve plus tard que j’invite des amis chez moi, que je me retrouve à en virer une car j’en avais marre de voir sa tête, pour m’écrouler en larmes dans les bras de mon amie décédée en avril dernier (maudit d’maudit inconscient).

Je n’ai pas besoin de triturer longtemps, l’analyse est simple.

Et puis me voilà en face de Géraldine (oui Virginie, encore elle) vendredi. Dernier jour ensemble au bureau : elle part en congés 2 semaines, je pars en mission 6 mois et demi. Les prémisses des au-revoir à 3 semaines de mon départ. Ça commence.

Les fêtes de fin d’année sont un masque voilant l’abattement des premiers jours de l’hiver et leur maussaderie. Les guirlandes, les illuminations détournent l’attention de nos petits nombrils. Mais parfois elles ne suffisent pas. On mange en excès non pas par appétit mais par ennui. Des cadeaux pour combler un vide.

Noël semble pour ma part devenu le catalyseur des embrouilles de famille. Je me suis souvent considérée comme la Suisse, ne prenant pas partie, restant objective. Le problème de celui qui ne se positionne pas, c’est qu’il est aussi celui à qui on dit tout. Se retrouver au milieu de tout ça, à quelques semaines de partir, ajoute à l’épuisement. Même des vidéos de pandas jouant dans la neige ou sur des toboggans ne suffisent pas toujours.

La distraction se trouve alors dans l’apprentissage de l’arabe. Ce qui amuse beaucoup mes collègues. Mon accent n’est pas des plus merveilleux, certes. Mais j’essaie. Je commence à mémoriser. J’aime cette gymnastique cérébrale mais j’aime aussi la concentration qu’elle demande, m’isolant ainsi du monde extérieur pour me visualiser uniquement dans la représentation que je me fais de ma vie en Jordanie. Là, dans cette bulle autistique, je me demande si je dois saisir l’opportunité d’un logement pas trop mal, un chouille cher, mais grand avec une belle vue. Dans cette bulle, je vide mes placards et commodes, je trie mes médicaments, je fais un sac de fringues pour la Croix-Rouge. Dans cette bulle, je repense à la Birmanie. Je rigole de voir Chopard à Amman quand je cherche les supermarchés. Et mes amis, voyant le départ approcher, me disent régulièrement : « mais tu vas faire un pot de départ ? ». On verra.

Je suis l’ambivalence. Comme je disais à une autre collègue en traînant dans le 11ème en quête de cadeaux, tout va bien, je n’ai à me plaindre de rien, mais pourtant je sens un boulet à ma cheville. La scène avec Anaïs devant notre pinte et la BD « s’enfuir » me revient.

Humpf.

Je prépare ma passation, je trie mes bannettes, range mes placards au bureau et tombe avec plaisir sur mon gribouillage qui a été la première bannière de ce blog. De Paris à Yangon en un trait de crayon. De Paris à Amman en un trait de caractère.

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Birmaniversaire #9

Note : ce birmaniversaire a été rédigée sur le territoire Birman, peu avant mon départ. A l’heure où vous lirez ce post, je serai dans ma cure d’isolement pour une petite semaine avant de prendre mon nouveau poste au siège et d’envisager la suite.

Accrochez-vous, ce birmaniversaire est exceptionnellement long.

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Ah oui, je précise aussi qu’il s’agit en plus de mon centième article pour ce blog…!

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Toujours de la nouveauté, nouveaux lieux, nouveaux liens. Les rencontres ne cessent, même après 8 mois. Et je me revois souvent à mon arrivée en septembre dans le regard de celles et ceux qui sont arrivés dernièrement. Un regard paumé mais un regard curieux.

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J’ai tenté vainement de perdre cette « bedaine de riz » avant de rentrer à Paris… mais elle s’accroche à moi comme je m’accroche à tous ces souvenirs que je veux garder au fond de mon cœur en rentrant.

Au début du neuvième mois c’est mon « chef » qui est parti. Je me souviens de ma première impression de lui, un ours intransigeant et froid. En fait, nous formions un excellent duo, il me laissait être tranquillement autonome mais a toujours été un véritable support dans les moments de doutes et c’était rassurant de pouvoir s’appuyer sur son expérience terrain et apprendre de lui. Et lorsque nous buvions des bières, nous ne parlions jamais de travail. Nous sommes partis avec une reconnaissance mutuelle. Lui-même avait une première impression erronée de moi-même et m’a dit être heureux d’avoir eu tort sur mon compte. Un agréable sentiment d’accomplissement.

En parlant de première impression, je me souviens de la première fois où j’ai descendu à pied Mahar Myaing (ma rue), me rappelant la première fois où j’ai descendu la rue St Louis à Montréal après que mes parents et mon frère soient montés dans un taxi. Ils partaient, je restais, j’étais seule pour la première fois, flippée et excitée. Cette rue de Yangon, sans éclairage, me semblait éternelle ce premier soir et est devenu mon quotidien, même le petit vendeur de bijoux et l’histoire de son fils steward, même les vendeuses du city mart qui me voient tous les mercredis chercher ma bouteille d’eau pour le Yoga, même ce groupe de jeunes hommes qui chantent à la nuit tombée une guitare à la main à côté de l’école Ste Philo, même les labradors chocolat du chantier derrière la maison…

Que de souvenirs improbables : à 7 dans une mini bagnole à chanter « je l’aime à mourir », dans le coffre d’un taxi avec Karen le soir du nouvel an à parler hurler birman au chauffeur, retrouver ma mère à Tokyo, passer du temps avec une de mes chères amies d’enfance après 18 ans au bord d’une piscine, emmener mes parents au Strand, ces rencontres avec nos bénéficiaires de nos programmes, ces fou-rires avec le staff national et expatriés, aux quatre coins du Myanmar, seule ou accompagnée, en dernière minute à Bangkok, tout ce que je n’aurai jamais pensé vivre, faire, ressentir… la liste pourrait être très longue…

On me demande de plus en plus « mais pourquoi ne restes-tu pas ? ». Je me le demande aussi. Si je n’avais pas ces projets à Paris (notamment de chercher un éditeur pour mon livre sur les ruptures) je serais peut-être resté… ou revenue après la saison des pluies.

Évidement une phase mélancolique s’entame, le choc culturel est toujours en deux temps. Je ressens à la fois le bonheur de retrouver mes proches mais aussi le chagrin de quitter mes siens ici. J’ai la sensation du « cœur brisé », cette boule de nœuds et de sanglots retenus au creux du bide qui émerge petit à petit.

Même si à une semaine du départ un réel sentiment très amer s’est emparé de mon humeur. Un mélange entre frustration et agacement ici qui me donnaient comme seule envie de partir comme prévu en vacances dans le Sud-Ouest sans revenir et vivre de l’écriture et du vol à l’étalage isolée au fin fond de la forêt des landes. Mais derrière se cache principalement ce besoin de me dire que j’ai pu apporter ma petite pierre à l’édifice et qu’elle pourra être un socle pour d’autres pierres à venir et non pas s’effriter faute d’information. Période de doutes, de fatigue qui commence à s’accumuler sans que je m’en sois rendue compte plus tôt, d’aigreur voire même de colère. Est-ce là une étape de la transition? Peur de revenir à une période durant laquelle je n’étais pas heureuse, peur que mes résolutions s’envolent une fois rentrée, peur de ne pas être à la hauteur…

Malgré tout, pour aller plus loin dans l’introspection des birmaniversaires, je vais m’allonger sur le divan et vous raconter un rêve que j’ai fait dernièrement : J’étais dans l’océan et il y a une énorme vague de type tsunami qui arrive alors je plonge en dessous. Là où ça devient vraiment intéressant c’est que depuis toujours je fais des cauchemars à base de tsunami et je me réveille toujours paniquée… Et là, pour une fois, j’ai eu brièvement peur dans mon rêve et j’ai juste plongé en dessous. Je n’ai pas cherché à fuir, je n’ai pas été tétanisée par la menace imminente comme avant.

Sans analyser le symbole de la vague, juste de « voir » mon inconscient me susurrer ce message caché de dépassement de soi me donne envie d’aller faire un gros poutou tout doux à Sigmund.
J’arrive donc au terme de cette aventure, de cette mission, de cette renaissance. 9 mois sont passés en un clin d’œil et ont été si riches. J’ai plongé sous la vague. S’il y a bien une chose que je veux retenir, c’est qu’il faut s’écouter, se fier à son instinct, se faire confiance.

Signe d’adaptation : se demander pourquoi le taxi a pris ce chemin.

Signe d’anticipation: reprendre les recherches de maison d’éditions, reprendre le texte, envisager de faire un nouveau blog à Paris…

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Il y a un an je lisais Guy Delisle et je m’imaginais ici. Troublée, impatiente.

On dit que les gens ne changent pas. Dans ce cas, parlons d’évolution. Comme je le dis : « Parce qu’il n’y a qu’une seule première mission », elle laisse des marques. De belles marques. Elle pointe des faiblesses, teste certaines limites, questionne l’avenir. Elle trace au sol les empreintes de la suite, d’un nouveau chemin inédit tourné vers l’autre. Vers les rencontres. Je ne sais pas si je me sens l’âme d’une humanitaire avec un gilet multipoche et un chèche autour du cou mais je réalise la force de l’humanité. Cette expérience affine le regard sur la relation à l’autre, sur la beauté de la rencontre mais aussi sur ses limites. Professionnellement, limite de l’intervention, limite de la patience, limite de la communication ont été de vrais tests durant ces 9 mois. Au niveau personnel, limite de la distance, limite d’une autre forme de communication aussi… Et dans une société qui est à mille lieux de la notre, je réalise que nous sommes tous fait du même bois. La famille, les amis, les proches au sens large sont nos moteurs. D’ailleurs la famille ne se compose pas que des personnes ayant le même sang. La famille se crée aussi à l’autre bout du monde sur la base de parfaits inconnus.

Je savais que ca irait en arrivant, ou plutôt je croyais que ca irait car je ne faisais que des suppositions. Il n’y a aucune certitude lorsque l’on débarque fraîchement en territoire inconnu, sans connaître personne. Mais j’avais foi en cette opportunité. Et parce que j’y ai cru, parce que j’avais ce moteur interne et l’élan sans frontière de ma « famille élargie », j’ai pu grimper ma montagne et dépasser un Sisyphe puni avec sa pierre, en cassant mon propre cycle.

Les croyances mystiques et religieuses sont des repères et non des armes, qu’elles nous aident face à la peur et à l’incertitude (et les Birmans savent de quoi ils parlent…). Nous n’avons pas besoin de tant pour être heureux. Nous souffrons des mêmes maux, nous sommes blessés par les mêmes choses. La générosité est universelle et ne connait ni religion, ni origine, ni statut social. Elle génère une énergie, crée une connexion, et dépasse les mots. L’ouverture d’esprit est fondamentale pour accueillir l’autre, pour recevoir sa bonté, pour vivre l’inédit de la rencontre, presque magique, partager.

Accepter s’apprend.

Chanter est universel.

Danser aussi…

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Je signe donc là mon dernier birmaniversaire. Neuf mois. Ma grossesse. 331 jours d’été. Vous avez été témoins de mon parcours avec des hauts et des bas et une nouvelle garde-robe. Vous avez lus mes doutes et mes découvertes. J’espère avoir pu vous transmettre cet élan qui m’a animé au quotidien pour vous donner aussi envie d’aller voir ce qu’il y a au-delà de votre vague. J’espère que vous avez pu voyager à travers mes mots, découvrir aussi ce pays si inédit, riche, incroyable, déstabilisant. J’espère que cette humanité Birmane si sincère, touchante et surtout si humble vous donne, comme à moi, une lueur d’espoir dans les moments plus sombres. J’aurai réellement aimé que vous puissiez voir tous ces sourires que j’ai reçus. Toutes ces belles choses si spontanées qu’on oublie totalement dans notre confort occidental…

Et il m’est important de vous remercier. Qu’on se connaisse ou non, chaque petite particule d’énergie positive et bienveillante a contribué d’une façon ou d’une autre à me pousser, à m’encourager. Un commentaire par ci, un mot par là, sur la toile ou dans la vraie vie. Le résultat en est une reconnaissance très sincère que je vous adresse et j’espère que la prochaine fois que je vous sourirai vous y verrez un peu de cette naïveté birmane… de cet «effet bisounours ».

Gisèle arrive donc elle aussi au bout de son épopée, ses 10 longyis dans sa valise et son empreinte sur la toile. Et elle repartira plus tard.

Mais c’est toujours aussi dur de partir…

Romantique un jour, romantique toujours !

17 juin.

Née de nouveau. 28 ans et 1 jour.

1er jour du reste de ma vie ? 😉