J’ai les rotules vraiment usées par toutes les émotions vécues ces derniers mois. Nous nous remémorions avec Caroline d’un de nos premiers restos avec Sylvaine. C’était un indien. Délicieux. Il nous semble que c’était lors de mon premier week-end. Il y a déjà 4 mois. Ça semble très loin car effectivement il s’en est passé des choses tant dans la sphère privée que professionnellement parlant.
Clairement en 4 mois en France il ne se passe pas un dixième de ce que je peux vivre sur le terrain. Une prise de poste et donc la pression d’être à la hauteur. Des sorties nocturnes bien tardives le week-end. Petit à petit le cercle d’amis se forme autour de différentes nationalités : française, italienne, marocaine, camerounaise, américaine. Les cultures qui s’entrechoquent, les clichés qui remontent, l’humour qui détend l’atmosphère. Ce n’est que quand je parle en anglais que je me rends compte du nombre de bruits de bouche qu’on fait nous les français et qui ont des significations bien spécifiques (doute, raz-le-bol, fatigue, colère, étonnement…).
Je me suis autorisée des horaires un peu flexibles la semaine de reprise au bureau. Délivrance du télétravail. Le niveau de concentration n’est toujours pas au top. La fatigue continue de s’accumuler mais le moral tient encore.
Caroline finit son contrat tout bientôt et la perspective de ne plus l’avoir dans les pattes ne m’enchantent pas du tout. J’ai évoqué plusieurs fois la tristesse de voir les personnes auxquelles on s’attache finir leur mission. Fini les debriefings matinaux post-soirée, les courses en duo. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas autant ri avec une personne. Encore une histoire d’intensité : vivre et travailler avec une personne induit forcément certaines choses qui ne sont pas reflétées dans « la vraie vie ».
Pour finir en beauté nous avions décidé un peu au dernier moment de passer le réveillon à Kribi.
Le séjour a été plutôt cocasse, pas très reposant mais a permis une coupure de la capitale. La route à l’aller était un peu bouchonnée car nous voyagions le 31. Nous traversons la même route nationale que pour aller à Buea sauf que nous bifurquons à Edea. Nous roulons encore un peu, traversons un champ de palmier (pour l’huile de palme, autrement dit une zone de déforestation) puis la route commence à longer l’océan. J’étais comme une gamine. C’était beau.
Nous arrivons dans notre maison louée (sur airbnb, et oui !) pour nous précipiter dans l’océan. Et là je me sens encore une fois chanceuse. Caroline me balance en plaisantant « ahlala c’est dur la vie d’humanitaire » puis je réfléchis aux nombreux décalages qu’imposent notre travail. La vie des personnes qu’on aide et la nôtre chez nous, la nôtre en tant qu’expatrié, le décalage face à la « vraie vie », encore une fois… Kribi est plus sympathique que je ne l’imaginais, beaucoup de verdure, les plages en continu, les crabes et lézards qui se baladent partout. Une vraie douceur de vivre. Nous mangeons crevettes et poissons grillés, nous trinquons à la bonne année les pieds dans le sable. Le samedi, lors de la baignade matinale, une méduse me pique. Nous partons au resto en moto-taxi (ne le dites à personnes, nous n’avons pas le droit) et je me brûle la jambe sur le pot d’échappement. Lors de la baignade digestive c’est un crabe (sans certitude) qui m’attaque un orteil dans l’eau. Et là je me dis que le karma est de retour. Ce qui est sympathique c’est que sur place on me dit que la méduse et le crabe me souhaitent la bonne année, que la moto voulait me souhaiter la bienvenue. Après la morsure du crabe, mon orteil saignait et avec le sable je me suis mise à le rincer à l’eau minérale. Mon voisin de transat me dit « oh non surtout pas il faut mettre un citron ! », le barman est alors venu m’apporter un citron pour stopper le saignement. Avez-vous déjà mis du citron sur un bobo ? Caroline et moi n’en pouvions plus de rire.
Puis c’est le retour au bureau, le retour des tests PCR (car je suis sensée voyager mercredi mais entre nous je n’y crois plus trop) mais surtout le départ de Caroline.
Et là, je retrouve ces moments pénibles des missions, lorsque la personne soutien s’en va. Je serai seule à l’appartement pour une certaine période à priori. Les liens qu’on peut nouer sont dotés d’une sacrée intensité. Nous partageons job et maison, nous sommes les premières et dernières personnes à qui nous parlons au cours de la journée. Nous vivons nos frustrations, nos doutes, nos réussites, nos joies et nos peines ensemble. Une vie de couple sans les engueulades en fait.
Alors forcément on repense encore un peu aux 4 mois qui se sont écoulés.
C’est le tsunami de solitude qui creuse le ventre, non sans rappeler cette même solitude qui m’occupe l’esprit bien souvent lorsque je suis à Paris. C’est curieux de se dire qu’en arrivant sur un terrain on ne connait personne et pourtant on n’est jamais vraiment seul. Il y a toujours quelqu’un pour nous embrigader dans un marché artisanal, un resto, un bar. Oui, je pourrais avoir ce rythme en France aussi mais ce n’est curieusement pas pareil. L’expatriation m’anime. Et le vertige n’en est que plus étourdissant.
A l’aube d’un « peut-être » break, je me sens angoissée. Le plan initial est définitivement loupé (Noël en l’occurrence). Je ne sais plus vraiment où j’appartiens. Trop de temps s’écoule. Cette même dérive que j’avais vécu en Jordanie, couper un peu trop les ponts. Je perds le nord. Comme si j’avais peur de louper des choses ici, d’être oubliée à mon retour, de ne pas avoir Caroline pour m’accueillir à la maison et me demander quelles céréales je veux pour mon arrivée.
Mon cerveau est vraiment fatigué et m’empêche de dormir.
Mon corps est fatigué et ne veut pas guérir cette infection urinaire qui traine encore…
J’ai envie de libérer de l’espace. De reprendre un peu mon souffle.
D’où l’utilité du break. Mais si même cela est angoissant on fait comment ?
« ah mais vous êtes psychologue ! ça va aller alors ! » me disait le médecin du centre médico-social de Yaoundé.
Euh…
En tout cas, bonne année 2021 à tous. Restons négatifs (au Covid).