Une première virée

Au départ je pensais que c’était un peu une blague façon bizutage quand mon responsable m’a dit qu’il comptait m’envoyer rapidement dans le sud-ouest du pays avant même que je n’ai foulé le sol camerounais. Dès mon briefing, le premier matin, il m’a demandé si j’étais OK. Il m’a parlé du droit de réserve aussi (premier gloups) puis je repense aussi un peu aux événements récents (deuxième gloups) et mes brief sécu (troisième gloups). Je me dis que la mission a manifestement un besoin impérieux côté santé mentale et que la responsable de programme m’attend. J’accepte. En échangeant avec une nenette d’une autre ONG, elle m’aide à relativiser mes inquiétudes. Elle a déjà voyagé dans le sud-ouest 2 fois et à part me conseiller de prendre un anorak, elle ne semble pas plus anxieuse. Si j’étais un peu inquiète c’est parce qu’on m’a parlé des « ghost town » du lundi et que je m’imaginais dans un remake du film « la purge ».

Je démarre donc ma semaine avec la perspective de 6 à 7 heures de trajet, à la fois curieuse et réservée. J’essaie de faire de l’humour en montant dans la voiture en indiquant au chauffeur que nous allons à Las Vegas… il ne semble pas avoir de second degrés et ne comprend pas ma blague.

Le trajet est, avouons-le, plutôt magnifique, surtout sur le tronçons Yaoundé / Douala : des collines, de la verdure et… beaucoup d’accidents de la route. La bruine du début se transforme rapidement en pluie torrentielle si bien que lorsque nous apercevons une voiture dans le fossé le chauffeur me dit « il est parti chercher la route »… il a donc en fait du second degrés ! La route est en très bonne état hormis pour les bouts arrachés par les pluies diluviennes. Je finis par m’endormir pour me réveiller lorsque le médecin de RFI explique que « le vagin n’est pas une cuisine, il ne faut pas y mettre toute sorte d’aliments ». Surprise j’écoute attentivement : plusieurs femmes demandent conseils au médecin de l’émission de radio. Certaines font une hygiène intime avec du citron, d’autres mettent du gingembre et autres racines supposés avoir des vertus merveilleuses. Après, quelques témoignages évoquent des personnes (y compris des bébés) mangeant de l’argile et de la craie. Est-ce que je rêve à moitié et déforme les sons que j’entends comme provenant de la radio ? Ce trajet est décidément plein de surprise.

Cette fois c’est un camion transportant des troncs d’arbres colossaux qui est dans le bas-côté avec sa cargaison sur la cabine…

Nous approchons Douala, ce qui est synonyme de bouchons successifs… il nous faut pas loin de 2 heures pour sortir de la ville. Nous passons devant de nombreuses pépinières et je repense à mon souhait d’acquérir quelques jolies plantes pour animer un peu l’appartement de Yaoundé. Je me sens presque narguée par toutes ces beaux feuillages… au retour nous verrons cela. Nous verrons aussi la boulangerie recommandée chaleureusement par mon responsable « ils ont même des macarons hors de prix ! ».

La pluie ne s’arrête pas vraiment du trajet mais lorsque nous approchons Buea, je vois le Mont Cameroun de profiler entre les nuages, le spectacle est encore plus beau.

Voyager sans avoir pris le temps de se poser génère quelques ratés : oublier sa brosse à dents et son dentifrice, oublier sa serviette qui séchait sur le balcon, oublier le paquet de bonbons dans le frigo pour le trajet… ce qui m’a amené mardi soir à passer une carte de visite entre mes dents pour déloger de la nourriture coincée, à me tamponner les pointes des cheveux avec du papier-toilette (j’ai opté pour une petite-culotte le lendemain car j’avais encore oublier de subtiliser une serviette à la guest-house)…

Bien qu’on puisse se croire dans un endroit de villégiature, la réalité est bien différente. Un exemple simple : depuis 4 ans que le conflit interne se déroule, les enfants de certaines villes ne peuvent plus aller à l’école. Sur le volet de la santé mentale, c’est une discipline quasi inexistante. Pas de psychiatre sur la région, pas d’unité dédiée à l’hôpital régional. Tout comme dans de nombreux pays, les violences domestiques ont augmenté avec le COVID-19 sauf qu’ici s’ajoute en plus les troubles psychotraumatiques liés aux très nombreux incidents. Les adultes se plaignent de douleurs physiques qui masquent finalement des symptômes psychosomatiques. Et puis l’éternelle association psychologie = folie… Un autre point intéressant est qu’il s’agit d’une région dans laquelle les ONG internationales ne développaient pas de programmes jusqu’à ces 2 ou 4 dernières années si bien que pour de nombreux collègues, il s’agit d’une première expérience dans ce secteur et quand on est psy habitué à travailler en milieu hospitalier, la transition peut être délicate mais aussi motivante. Maintenant la question est : est-ce que ces ONG vont rester ? car le Cameroun n’est pas vraiment un pays qui séduit les bailleurs (ceux qui apportent les fonds pour les programmes développés par les ONG)…

Je prévois d’y retourner assez rapidement pour suivre les éléments mis en place lors de cette visite et ne suis pas mécontente par la perspective de quitter ma chambre d’hôtel excessivement humide pour mon petit confort de capitale (avec une vraie serviette qui plus est). Le trajet est bien plus longue au retour. De nombreux camions ralentissent la cadence sur cette route nationale achalandée. Toujours des accidents (pourtant il ne pleut quasiment pas). Je propose à mon chauffeur de ramener un pangolin vendu au bord de la route pour en faire un animal domestique pour la maison, il estime que ce n’est pas une bonne idée par les temps qui courent. Je lui propose une chèvre alors, aussi vendue au bord de la route, il pense que c’est mieux qu’un pangolin. Nous arrivons à Yaoundé à la tombée de la nuit, la lumière de la fin de la journée donne une teinte particulière aux 7 collines, avec en prime un arc en ciel. J’invite mon chauffeur à la réflexion sur le fait qu’il y a bien plus que 7 collines : « oui, ils ont juste arrêtés de compter, disons que 7 c’est un chiffre symbolique ».

J’accepte cette explication et ai juste hâte de retrouver ma collègue-colloc autour d’un verre de martini blanc pour conclure ce voyage de plus de 8 heures.

En plus, je suis passée à la fameuse boulangerie et ai ramené des mille-feuilles…

Chutes de Bouali

Nous n’avons pas beaucoup de possibilité de sortie en dehors de Bangui. La majorité des lieux sont des no-go pour des questions sécuritaires. Deux possibilités s’offrent néanmoins à nous : les chutes et Bouali et le petit tour en bateau sur l’Oubangui.

Au cours de la semaine nous avons lancé les validations pour passer la journée de samedi en dehors de la ville. C’est vers 9h00 que nous quittons la base en convoi de deux voitures pour deux heures de trajet, pique-nique dans le coffre. Nous remontons vers le nord-ouest, passons par des quartiers animés de Bangui, traversons les marchés, pour peu à peu délaisser les habitations citadines pour des petits villages éparpillés. Nous passons quelques check-points. La vue est belle, verdoyante, le contraste avec la piste rouge et le ciel azur est toujours aussi beau. Le paysage est plutôt vallonné offrant un horizon à perte de vue par moment. Le convoi zigzague entre les nids-de-poule (ou plutôt d’autruche vue leur diamètre).

Nous approchons de notre destination en quittant la route goudronnée pour un chemin de terre. Moyennant 1000 francs CFA, nous accédons au parc des chutes. Une salle de réception se trouve à l’entrée du site mais elle a été pillée/détruite suite aux événements de 2013. Un chemin permet de descendre quasiment jusqu’au niveau inférieur mais saison des pluies oblige, nous sommes rapidement arrêtés à mi-hauteur des chutes qui nous détrempent allégrement. Le débit est impressionnant et il est difficile de s’imaginer qu’à la saison sèche, il est possible de passer sous ces chutes ou de se baigner dans les piscines naturelles creusées par la pression du débit. L’eau me pique les yeux mais le spectacle vaut les irritations oculaires. Hautes de 50 mètres et large de 250 mètres, nous n’avons de notre point de vue qu’un panorama partiel. Un arc-en-ciel rend le tableau féérique. La rivière Mbali jaillit entre les rochers où quelques arbustes ont trouvé la force de pousser. C’est d’ailleurs depuis ce point-là que la centrale hydroélectrique alimente Bangui en électricité.

Nous passons notre déjeuner sur des planches en bois juste au-dessus des chutes. Une sortie qui déconnecte totalement du contexte. Comment un pays avec de si belles richesses naturelles peut-il être dans une situation aussi complexe ? Nous trempons nos pieds dans l’eau fraîche, nous savourons la brise. Puis, peu avant 15h, nous reprenons le chemin du retour afin de rentrer avant la tombée de la nuit. La chaleur est un peu plus écrasante, la ville un peu moins animée, notre teint brillant et notre peau rougi par endroit (ainsi remarque-t-on celles et ceux qui prennent de la doxycycline).

Mais après cette escapade aquatique, nous en redemandions encore plus et avions fini dans la piscine du rock-club à Bangui.

Pas mal pour un samedi…!

Um Er Rasas et Mont Nébo

Je continue de rayer des visites de ma to-do list. Um Er Rasas m’avait déjà fait de l’œil par le passé sans que je prenne le temps d’y aller mais le départ arrivant, je précipite un peu les visites.

Um Er Rasas est inscrit au patrimoine de l’UNESCO car le site possède des vestiges Romains, Byzantins et des débuts de l’Islam datant de la fin du 3ème siècle jusqu’au 9ème après JC. En soit le lieu ne coupe pas le souffle comme Jerash, les fouilles ne pressent pas, les ruines sont peu étonnantes. Par contre, les mosaïques sont très bien conservées et très belles à déchiffrer. C’est « amusant » de voir tous les visages qui ont été floutés pour des considérations blasphématoires. Mais c’est surtout magnifique d’étudier tous les motifs représentés.

Alors on crapahute entre les lézards et les roches. On sillonne sur le site entre les chiots en pleine sieste et le troupeau de brebis qui s’y promenaient en même temps que nous. Ce que j’apprécie toujours autant est la photogénie des pierres beiges face du ciel bleu. Le policier en charge de l’enregistrement des visiteurs nous précise qu’il y a 20 chapelles, le routard nous en indique 10, UNESCO choisit 16. Je n’ai pas compté. Le site est très étendu mais nous n’avons réussi à en faire qu’une partie sous le cagnard. Pour les amoureux d’histoire, ils seront conquis. Pour les visiteurs de passages, ils seront surpris. Cependant, je regrette le manque d’informations, pas de plan du site, des panneaux d’indications tordus par la vie indiquant des lieux aléatoires. Um Er Rasas semble un peu oubliée cependant. Nous étions les seuls. Et en parlant de solitude, 1 kilomètre à peine plus loin, nous voilà ce qui serait une tour pour les anachorètes stylites : une tour sans escalier intérieur dans lesquels les moines pouvaient s’isoler. Si vous me cherchez, je serai peut-etre par là…

Pour la suite de nos visites, nous visons cette fois le Mont Nébo. Je souris à l’idée d’enfin aller visiter le Mont Nébo alors que ce devait être ma première escapade touristique hors Amman. Puis finalement je me disais que je le ferai plus tard… plus tard… plus tard. Le Mont Nébo serait l’endroit où Moise est mort en contemplant la Terre Promise. Ce serait aussi là qu’il a fait jaillir une source d’eau en frappant son bâton sur le sol. Le site consiste en un petit musée et une église, dernièrement restaurée, et possédant de très belles mosaïques. Bien que sensiblement moins détaillées que celles d’Um Er Rasas, les rénovations révèlent les couleurs des centaines de petites facettes. Mais surtout, le site offre un panorama sur la Palestine, au delà de la mer morte. La météo un peu brumeuse par la chaleur nous empêche de voir aussi loin que nous aurions pu le souhaiter mais néanmoins, la vue est surprenante.

Nous verrons si cette visite me fera vivre jusqu’à 120 ans.

Nous passons de 800 mètres d’altitude à -400 pour pique-niquer « par erreur » sur une base militaire d’atterrissage d’hélicoptère (mais avec une vue sur la mer morte). Les visites de la matinée nous ont ouvert l’appétit et nous dévorons nos sandwiches halloumi/pesto en attendant que les militaires se décident à nous demander de quitter les lieux. Ils finissent par arriver et plaisantent que nous soyons là pour déjeuner.

Nous avions décidées avec quelques collègues de célébrer la fin de mon contrat et avions choisi la mer morte. Ce fut donc mon dernier bain en apesanteur (pour ce contrat). Ce fut mes dernières longueurs dans la piscine à débordement (pour ce contrat). Ce fut mes dernières contemplations de ces paysages désertiques (pour ce contrat).

Un dernier week-end et je serai dans l’avion.