Etre négative

C’est sur une table bancale, assise sur une chaise bancale, à l’aéroport de Yaoundé, après deux PCR négatifs (on n’est jamais trop prudent) que j’entame ce nouvel article. La bière n’est pas loin non plus et l’omelette va arriver.

Je pars enfin en « break », ai même repoussé de 40h le voyage pour être sûre de partir un peu plus tranquille étant donné l’importance du travail ces derniers temps. Mois de Janvier rime avec projets ECHO (bailleur européen pour les urgences). Je sentais déjà mon corps s’endormir dans le trajet en voiture, comme un petit poids en moins et toute la journée du jeudi je réfléchissais à ce que je ferai 24h plus tard chez mes parents (manger, sieste, regarder la télé, sieste, manger…).

Arrivée en France, je me surprends à couper assez rapidement avec le travail. J’ai fait l’erreur classique de jeter un œil à mes emails pour finalement fermer aussitôt l’ordinateur.

Avant de partir, nous étions allés boire une dernière pina colada au bar d’un de nos amis camerounais avec Caroline. Celui-ci lui ne demandait « pas trop triste de retrouver l’anonymat ? ». C’est vrai qu’en tant qu’expatriées, nous avons tout de même un statut particulier, nous sommes aussi remarquées comme femmes et blanches. Lorsque je vais au marché artisanal de Tsinga, les vendeurs me donnent systématiquement un petit truc en plus (un bracelet, un collier) quand bien même je suis devenue féroce en négociation. Quand je rentre en France, je suis de nouveau noyée dans la masse, même avec mes cheveux roses et mon manteau léopard. Il n’y a plus cette chaleur humaine au moment de faire ses courses (et qui plus est dans ce contexte confinement / couvre-feu…). Il n’y a plus cette musique qui donne envie de remuer les hanches dans la rue, il n’y a pu ses troquets ouverts sur une route en terre battue avec ses habitués qui sont déjà à la bière de bon matin. Il n’y a pas tous ces bonjours, bonsoirs. Je ne suis la « maman » de personne ici.

En quittant Charles de Gaule vers St Maur, je me demande quelles peuvent être les premières impressions d’un expatrié arrivant en France : gris, plat, standard. Loin de l’image d’un Paris et son architecture, d’un village mignon, de baguette et de béret. Le trajet ne vend vraiment pas du rêve mais je m’endors avant d’examiner davantage le paysage.

Ce séjour a aussi été l’opportunité de passer un peu plus de temps avec mes nièces et ma sœur à Reims. L’une de mes nièces me demande s’il y a des couvre-feu là où je suis. Je lui dis que oui mais pas pour les mêmes raisons… A Buea le couvre-feu est à 21h00 et Maroua 22h00 : avec la nuit la criminalité peut augmenter et étant bien visible, je dois me faire discrète. On révise le latin, on révise l’allemand, on fait des exercices de mathématiques. Une vie normale.

Ici , il y a la galette des rois, des pisco sour, des moscow mule maison, des petits salés aux lentilles, des ruben sandwich, des pavés de saumon. Il y a le brunch avec les amis et la burrata à la truffe. Il y a une autre galette des rois au chocolat. Il y a Monoprix. Il y a tous les shampoings que je veux (car là-bas à part le ultra doux pour cheveux blonds, le choix est très limité pour les cheveux occidentaux). Personne ne prend ma température tous les matins mais ma mère, ma sœur et mes amis me donnent leurs crèmes et pansements miracles pour soigner ma vilaine brulure au mollet.

Il y a les BD que je lis avant de me coucher mais je reste encore un peu trop scotché à mon téléphone. J’échange avec là-bas. J’échange avec Caroline. Les histoires de Yaoundé continuent de rythmer mon quotidien français. J’ai fait, défait, refait au moins 4 fois déjà ma valise pour estimer les kilos restant et aviser judicieusement de ce que je vais emporter. Un risotto à la truffe ? des pois cassés ? pour l’alcool, je prendrai à l’aéroport. Les crèmes : à l’aéroport. Les chocolats pour les équipes : à l’aéroport. Chaque kilo est précieux. Mascara et eyeliner : à l’aéroport. Quelle joie de rapporter aussi des fringues pour varier un peu sa garde-robe. Niveau chaussures aussi. Ah ! un autre pot de couleur rose pour mes cheveux. Des crochets autocollants. De la décoration.

Je me fais une vie là-bas mais je retrouve le calme ici. Pour preuve, je suis globalement couchée à 21h00. Pas fait depuis des mois. Veiller au tourbillon camerounais (et aux pots d’échappement). Soigner le mental. Prendre soin du corps « mais si maman, j’ai de la cellulite à cause du fait que je ne marche quasiment plus à Yaoundé » dis-je en pressant mes cuisses jusqu’à ce qu’elle donne cet effet peau d’orange.

Trouver une nouvelle partenaire pour le pacte de l’apocalypse.

Réfléchir à ma prochaine chanson pour le Karaoké.

Me reposer encore un peu.

Changer le pansement sur mon mollet souvent.

Faire un PCR.

Trouver le cadenas de ma valise et peser une dernière fois. 23 kilos.

Une brise d’air

J’ai les rotules vraiment usées par toutes les émotions vécues ces derniers mois. Nous nous remémorions avec Caroline d’un de nos premiers restos avec Sylvaine. C’était un indien. Délicieux. Il nous semble que c’était lors de mon premier week-end. Il y a déjà 4 mois. Ça semble très loin car effectivement il s’en est passé des choses tant dans la sphère privée que professionnellement parlant.

Clairement en 4 mois en France il ne se passe pas un dixième de ce que je peux vivre sur le terrain. Une prise de poste et donc la pression d’être à la hauteur. Des sorties nocturnes bien tardives le week-end. Petit à petit le cercle d’amis se forme autour de différentes nationalités : française, italienne, marocaine, camerounaise, américaine. Les cultures qui s’entrechoquent, les clichés qui remontent, l’humour qui détend l’atmosphère. Ce n’est que quand je parle en anglais que je me rends compte du nombre de bruits de bouche qu’on fait nous les français et qui ont des significations bien spécifiques (doute, raz-le-bol, fatigue, colère, étonnement…).

Je me suis autorisée des horaires un peu flexibles la semaine de reprise au bureau. Délivrance du télétravail. Le niveau de concentration n’est toujours pas au top. La fatigue continue de s’accumuler mais le moral tient encore.

Caroline finit son contrat tout bientôt et la perspective de ne plus l’avoir dans les pattes ne m’enchantent pas du tout. J’ai évoqué plusieurs fois la tristesse de voir les personnes auxquelles on s’attache finir leur mission. Fini les debriefings matinaux post-soirée, les courses en duo. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas autant ri avec une personne. Encore une histoire d’intensité : vivre et travailler avec une personne induit forcément certaines choses qui ne sont pas reflétées dans « la vraie vie ».

Pour finir en beauté nous avions décidé un peu au dernier moment de passer le réveillon à Kribi.

Le séjour a été plutôt cocasse, pas très reposant mais a permis une coupure de la capitale. La route à l’aller était un peu bouchonnée car nous voyagions le 31. Nous traversons la même route nationale que pour aller à Buea sauf que nous bifurquons à Edea. Nous roulons encore un peu, traversons un champ de palmier (pour l’huile de palme, autrement dit une zone de déforestation) puis la route commence à longer l’océan. J’étais comme une gamine. C’était beau.

Nous arrivons dans notre maison louée (sur airbnb, et oui !) pour nous précipiter dans l’océan. Et là je me sens encore une fois chanceuse. Caroline me balance en plaisantant « ahlala c’est dur la vie d’humanitaire » puis je réfléchis aux nombreux décalages qu’imposent notre travail. La vie des personnes qu’on aide et la nôtre chez nous, la nôtre en tant qu’expatrié, le décalage face à la « vraie vie », encore une fois… Kribi est plus sympathique que je ne l’imaginais, beaucoup de verdure, les plages en continu, les crabes et lézards qui se baladent partout. Une vraie douceur de vivre. Nous mangeons crevettes et poissons grillés, nous trinquons à la bonne année les pieds dans le sable. Le samedi, lors de la baignade matinale, une méduse me pique. Nous partons au resto en moto-taxi (ne le dites à personnes, nous n’avons pas le droit) et je me brûle la jambe sur le pot d’échappement. Lors de la baignade digestive c’est un crabe (sans certitude) qui m’attaque un orteil dans l’eau. Et là je me dis que le karma est de retour. Ce qui est sympathique c’est que sur place on me dit que la méduse et le crabe me souhaitent la bonne année, que la moto voulait me souhaiter la bienvenue. Après la morsure du crabe, mon orteil saignait et avec le sable je me suis mise à le rincer à l’eau minérale. Mon voisin de transat me dit « oh non surtout pas il faut mettre un citron ! », le barman est alors venu m’apporter un citron pour stopper le saignement. Avez-vous déjà mis du citron sur un bobo ? Caroline et moi n’en pouvions plus de rire.

Puis c’est le retour au bureau, le retour des tests PCR (car je suis sensée voyager mercredi mais entre nous je n’y crois plus trop) mais surtout le départ de Caroline.

Et là, je retrouve ces moments pénibles des missions, lorsque la personne soutien s’en va. Je serai seule à l’appartement pour une certaine période à priori. Les liens qu’on peut nouer sont dotés d’une sacrée intensité. Nous partageons job et maison, nous sommes les premières et dernières personnes à qui nous parlons au cours de la journée. Nous vivons nos frustrations, nos doutes, nos réussites, nos joies et nos peines ensemble. Une vie de couple sans les engueulades en fait.

Alors forcément on repense encore un peu aux 4 mois qui se sont écoulés.

C’est le tsunami de solitude qui creuse le ventre, non sans rappeler cette même solitude qui m’occupe l’esprit bien souvent lorsque je suis à Paris. C’est curieux de se dire qu’en arrivant sur un terrain on ne connait personne et pourtant on n’est jamais vraiment seul. Il y a toujours quelqu’un pour nous embrigader dans un marché artisanal, un resto, un bar. Oui, je pourrais avoir ce rythme en France aussi mais ce n’est curieusement pas pareil. L’expatriation m’anime. Et le vertige n’en est que plus étourdissant.

A l’aube d’un « peut-être » break, je me sens angoissée. Le plan initial est définitivement loupé (Noël en l’occurrence). Je ne sais plus vraiment où j’appartiens. Trop de temps s’écoule. Cette même dérive que j’avais vécu en Jordanie, couper un peu trop les ponts. Je perds le nord. Comme si j’avais peur de louper des choses ici, d’être oubliée à mon retour, de ne pas avoir Caroline pour m’accueillir à la maison et me demander quelles céréales je veux pour mon arrivée.

Mon cerveau est vraiment fatigué et m’empêche de dormir.

Mon corps est fatigué et ne veut pas guérir cette infection urinaire qui traine encore…

J’ai envie de libérer de l’espace. De reprendre un peu mon souffle.

D’où l’utilité du break. Mais si même cela est angoissant on fait comment ?

« ah mais vous êtes psychologue ! ça va aller alors ! » me disait le médecin du centre médico-social de Yaoundé.

Euh…

En tout cas, bonne année 2021 à tous. Restons négatifs (au Covid).