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Je ne partage plus que les camerouniversaires alors pourquoi ne pas aussi partager mon « vrai » anniversaire. J’ai donc 34 ans aujourd’hui. Claranniversaire #34.

Anniversaire et deuil forment un cocktail plutôt déstabilisant. Les souvenirs des fraisiers de l’enfance et des gâteaux partagés avec mes parents (après avoir quittée le nid familial mais que je tenais à souffler les bougies) ressurgissent. Le message de mon père pour mes 30 revient comme la marée chaque année. Mon propre mascaret interne. Et on peut le dire, cela fait plutôt mal au cœur.

16 juin 2013

J’ai oublié le nom de cet effet : quand vous portez votre attention sur quelque chose et qu’après vous voyez des liens avec l’objet d’attention partout dans le quotidien. Cette mission appelle ce phénomène de façon aussi lugubre qu’étrange : 3 collègues expat’ ont perdu leur père cette année et ont dû rentrer brusquement dans leur pays d’origine pour quelques semaines. La semaine passée, une collègue camerounaise a perdu son beau-père et en vient à me parler de la perte de son père, 5 ans plus tôt, et de la difficulté qu’elle a encore à s’en remettre. Deux autres collègues expats ont aussi perdu leur père en 2020. Ce sujet qui revient me renvoie sans cesse depuis le début de la mission à mon propre deuil. Il n’y a que deux personnes qui sont au courant ici de mon vécu.

J’ai souvent comparé le deuil à l’ « upside down » tiré d’une série « stranger things ». C’est une histoire d’un groupe d’enfant avec une jeune fille qui a des super pouvoirs pour lutter contre des créatures qui vivent dans cet « upside down », un monde parallèle à la réalité, sombre, dangereux, ouateux. Un monde parallèle que tout le monde ne peut pas voir. Mais si on tombe dans l’upside down, la réalité ne sera plus jamais la même et il est difficile de revenir dans le monde normal. Vous ne trouvez pas que cela n’est pas sans rappeler les sensations du deuil ? Ce décalage avec les autres, ce fameux « ils ne peuvent pas comprendre car ils ne l’ont pas vécu ».

On les connait en thérapie, les phénomènes des anniversaires. Ces dates clés qui ramènent leurs vagues d’émotions. Cela fait quelques années que je n’ai pas fêté mon anniversaire. Je souhaite bousculer cela cette année, retourner l’énergie, ramener de la vie. L’année dernière j’avais fait l’effort de me faire un peu jolie, j’étais allée boire un verre au bar à côté de chez moi qui fait des super bons moscow mule puis aller manger du pulled pork avec mon compagnon de l’époque. Mais le cœur n’y était pas du tout. J’espérais aussi recevoir un message de Guillaume. Il y a deux ans j’étais à Bangui. Trois ans en France. Quatre ans en Jordanie. Et avant cela je ne me souviens pas de mes anniversaires. Je crois que la dernière grosse fête c’était pour mes 24 ans. Y’a dix ans. L’époque où j’invitais tout le monde chez mes parents pour des soirées à thème.

En ce moment je lis Delphine Horvilleur et aurait beaucoup aimé discuter avec lui de cette femme rabbin, son style littéraire (très agréable à lire d’ailleurs), de ses idées, son positionnement. J’aimerais lui dire que j’ai été publiée une deuxième fois et que j’écris actuellement une BD sur mon job avec une maison d’éditions. J’aimerais lui raconter ces expatriations. Nous devions faire un livre de cuisine « des religions », nous devions faire Compostelle. Et tant d’autres regrets qui reviennent avec la vague de l’anniversaire.

Alors je me demande : où est mon père ? dans quel signe ce cache-t-il en ce jour spécial dans ma vie? Je n’ai pas vu d’arc-en-ciel, je n’ai certainement pas croisé de chowchows. Je n’ai pas le souvenir d’avoir rêvé de lui la nuit passée. Comment veille-t-il sur moi en ce jour spécial ? Et puis c’est finalement pendant ma session de yoga qu’une évidence m’est venue. Il a mis sur mon chemin les personnes géniales que j’ai rencontrées ici. Celles qui m’ont invité au resto à midi avec la bougie sur le gâteau, celles qui (je le sais même si je ne dois pas le savoir) ont prévu le menu de ce soir au resto italien, celles qui me portent et m’encouragent au quotidien et celles que j’apprécie accompagner le temps de cette expérience d’expatriées. L’expatriation force la rencontre mais notre fonctionnement relationnel se modèle en grande partie sur ce que nos parents nous ont transmis. Alors je pense que c’est là où mon père est : dans la transmission du lien à l’autre, de la rencontre, du partage et surtout du plaisir de la bonne bouffe et du bon vin!

Cette année je veux tenter d’alléger ce passage. Je veux me laisser porter par la bienveillance. Accueillir l’amour sans amertume.

Camerouniversaire #9

Perte de rythme

Cela fait trop longtemps que je n’ai pas écrit. Je ne prends pas le temps de me poser et c’est dommage. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas tant à partager mais peut-être que finalement, après 9 mois, je suis dans ce rythme où la routine prend le dessus.

Pourtant au travail ça bouge pas mal, nous avons travaillé sur de nombreux appel à projets en tentant de financer des programmes santé mentale sur une vision un peu plus long-terme. La semaine passée j’étais à Maroua et planifie un autre mouvement terrain avant la fin du mois.

Maroua était chaude. Un souvenir de la léthargie des après-midi à Bangui quand il fait 40 degrès avec les coupures de courant. Cependant dans l’Extrême-Nord, il faut aussi ajouter la poussière. Cette poussière qui déposent ses grains dans la bouche et fait craquer les dents. Cette poussière qui va jusqu’à m’enrhumer et obstruer mes poumons.

Maroua était sèche, jusqu’à ce qu’un déluge de quelques heures remplissent le lit des mayos, ces rivières éphémères. Plutôt impressionnant à voir. Maroua était suffisamment sèche pour me gercer les lèvres en quelques jours. Une collègue d’une autre ONG vantait les bienfaits de ce climat sur la peau « au moins je n’ai plus de boutons » car entre la transpiration intensive et le gommage naturel par le sable dans l’air il faut dire que les imperfections s’effacent rapidement. J’aurais peut-être dû y rester plus longtemps.

Maroua était intéressante, comme toujours. J’ai pu me rendre sur l’une de nos activités et passer une matinée bien étendue dans un camp de déplacés. Nous y avons mené des séances de psychoéducations pour les enfants. Ceux-ci au départ étaient difficilement mobilisables : ils croyaient qu’on venait les vacciner et courraient littéralement dans tous les sens. Puis nous avons pu nous rassembler et discuter avec eux. Des petits. Parlant des incendies, des flammes. Parlant de la peur. De la tristesse aussi. Petit à petit, sans vraiment que nous nous en apercevions, le groupe d’une vingtaine est devenu un groupe d’une cinquantaine, des mamans se sont aussi jointes à nous. Le camp en lui-même est très différents de Zaatari par exemple. Là il s’agit d’un petit rassemblement : des tentes bâchées aux cigles des agences des Nations Unies et des petits boukarou éparpillés sur une collines sèches et isolées. Un forage un peu plus bas leur donne accès à l’eau mais celui-ci fonctionne moins bien ces temps-ci.

Maroua était fatigante. Au-delà du climat, c’est aussi la santé qui en a pris un coup et me voilà samedi matin au centre médical de Yaoundé face à un médecin très précautionneux revisitant tout mon historique. J’apprécie l’attention mais n’avais qu’une envie : rentrer chez moi. C’est ainsi qu’en 4 jours je perds un tour de taille mais gagne de nombreuses heures de sommeil.

Yaoundé est pluvieuse. Les orages sont beaux. L’air est parfois parfaitement frais. Les vêtements sèchent moins rapidement mais si je suis chanceuse, le dimanche est suffisamment dégagé pour me permettre d’aller à la piscine. Je prépare aussi doucement mon prochain break pour les deux semaines de juillet et dois faire ces petites courses d’achats. En mai il y avait l’anniversaire de toute ma famille et je dois obéir au devoir des cadeaux, exotiques cette année.

Kribi était aussi dans la boucle avec la fête nationale du 20 mai : l’opportunité de déconnecter, de manger des crevettes, de faire la fête, de prendre des couleurs et de voir les chutes de la Lobé que je n’avais pas vu jusqu’à présent et de découvrir le mont Cameroun sous un nouvel angle…

Ce matin, mon responsable me signale « tu es à 3 mois de la fin de ton contrat : sais-tu ce que tu veux faire ? » j’évoque une prolongation en lui demandant une semaine de réflexion. J’ai du mal à m’imaginer ailleurs maintenant que la routine est là, que les amis sont là, que je me soucie pour eux et qu’ils se soucient pour moi. J’ai du mal à m’imaginer ne pas manger ces avocats beurres ni profiter de la saison des mangues. J’ai du mal à m’imaginer ne pas lancer les éventuels projets que j’aurais écris là, durant ces mois-ci.

Par contre je suis plutôt contente de faire une petite pause, plus longue que les précédentes, offrant aussi la possibilité de bouger, de prendre du recul, de voir l’océan et de passer du temps avec les proches.

Alors je fais mes listes pour ici et là-bas, je commence à commander pour être livrée en France, je commence à trier mes vêtements pour rafraîchir ma garde-robe.  Je pense aussi à mon anniversaire qui approche et qui j’espère sera plus joyeux que les années précédentes.