Camerouniversaire #7

J’ai un tout petit scarabée qui n’arrête pas de se retourner sur le dos. Je le remets dans le bon sens, il fait des pas très maladroits et retourne sur le dos. Si je le laisse ainsi je sais que les autres insectes vont venir le manger. Et ça me rend triste de ne pouvoir aider ce petit scarabée.

7 mois donc.

Il se cache dans un mouchoir qui m’a été utile pour le remettre debout (un vieux mouchoir bien entendu maman).

7 mois en théorie on est acclimaté, c’est la phase de la maturité. Pourtant je ne me sens pas mature, j’ai du mal à avancer car les projets en santé mentale ne tombent pas aussi souvent que les mangues durant la saison des pluies. J’ai du mal à me projeter avec ce COVID. J’ai pourtant signé mon avenant il y a 3 jours qui me prolongent jusqu’au 31 août. Les amis sont contents de me voir rester ici. Nous avons toujours des contrats plutôt longs.

La maturité. Je ne me sens tellement pas mature. J’ai l’impression d’avoir le niveau affectif d’une adolescente et les caprices d’une enfant de 7 ans (pourtant l’âge de raison non ?). Par moment je suis épuisée car je réalise qu’ici, je ne trouve pas cette source de renouvellement, de régénération. Ah si peut-être la piscine… ? Peut-être que je devrais me payer un massage de temps en temps… Heureusement que ma référente technique au siège me soutient, m’encourage, me pousse. Elle me donne du souffle.

Si tout va bien je voyage très prochainement en France. Bien entendu je commence déjà à avoir peur de ce test PCR et de revivre la frustration de décembre.

Encore et toujours du passage à la guest. Ça aussi c’est un peu fatiguant. Surtout quand on ne me prévient pas et que 2 collègues débarquent. Ou que certains avec qui on n’accrochent pas viennent aussi habiter là. Je me sens parfois comme une concierge. Je repense à l’accueil qu’une expat m’avait fait alors qu’on ne se connaissait pas sur une précédente mission et me dis que je dois perpétuer cette bienveillance envers les nouveaux expats mais sincèrement, parfois, j’ai plus du tout envie d’être sympa.

On pousse on cale.

Allez, la semaine prochaine, à la même heure, je serai à Kribi, pour le week-end de Pâques. Cette fois, j’y vais avec une collègue et ses filles. Des « pré-vacances » avant de rejoindre le confinement parisien et le gratin aux épinards et au saumon déjà précommandé (merci maman). J’ai lancé mes commandes de livres, d’éponges de Konjac et de fringues. Plaisir sommaire et société de consommation. Comme si une nouvelle tenue avait le pouvoir de révolutionner le quotidien, d’ouvrir de nouvelle porte, d’apporter un nouvel élan dans la vie !

Rien que ça.

J’ai même acheté un jogging très large et court (en vue de la saison des pluies) pour ces journées du dimanche passée à traîner dans la maison. Pour manger mes tartines et ma tasse de lait au chocolat (un reste de Caroline, on ne va pas gâcher quand même) en regardant des séries avec des médecins.

Si je reste jusqu’à août, peut-être que certains amis pourront venir ? bon ce n’est pas la saison idéale… ca veut aussi dire qu’il me restera un break début juillet… mais que si j’arrive à obtenir certains projets, ils commenceraient en septembre… donc c’est pas impossible que je souhaite les lancer…

On verra.

Un jour après l’autre. Un camerouniversaire après l’autre.

Avocat beurre, ananas miel

Me revoilà à Maroua, ville aimée, qui a déjà bien changé d’allure. Il n’a pas plu depuis 2 mois (soit depuis ma dernière visite) et la végétation est devenue craquante, les champs de sorgo ont été moissonnés, les épis de mil sortent de terre. Bientôt ce sera les plants de tomates qui vont investir le terrain. La poussière ne recouvre pas encore l’horizon. Les odeurs sont les même. Par contre l’eau ne coule plus dans le robinet donc je ne peux pas dire si elle goûte toujours le fer…

Nous devions partir lundi matin mais le vol a été annulé le dimanche soir. Je m’étais pourtant préparée psychologiquement au réveil de 4h. Dans la journée du lundi, nous recevons nos nouveaux billets UNHAS pour le mardi. Mon planning ne sera pas trop bousculé.

C’est toujours un plaisir de retrouver les équipes. De toucher le terrain. De donner du sens. De réfléchir à comment aller plus loin avec eux.

Sur le plan plus personnel, revenir à Maroua était aussi pour m’aider à la transition « pré-break ». Curieusement, lundi soir, j’ai senti le stress envahir mes membres. Les bras nerveux, j’ai fait ma session de yoga avec une amie. Je me souviens des breaks de Centrafrique, du décalage, de la fatigue qui s’abat d’un coup. Et puis il faut aussi dire que cela fait 2 noëls que je ne suis pas en famille (désolée maman). Forcément, Noël a une teinte particulière du fait de ne plus avoir la possibilité de préparer la buche avec mon père, de ne plus se décortiquer les neurones pour lui trouver un cadeau, de ne plus entendre son rire à table tout simplement.

Maintenant je dois assumer seule cette responsabilité du dessert (la barre est haute) et me contenter de mes souvenirs.

La vie continue et les traditions se transmettent pour perdurer.

Donc Maroua apaise.

Je retrouve ma collègue-colloc aussi. Je retrouve ma cuisinière fétiche. Je retrouve mes anciens colocataires tchadiens (avec qui j’ai mangé des « crevettes du Sahel » c’est-à-dire des… criquets… et je peux dire qu’effectivement ça a le goût de crevettes séchées)

En travaillant avec les équipes d’un des projets, nous parlions du protocole de prise en charge du trauma. L’une des séances est consacrées à la vie « avant ». Ils regrettent les voyages qui étaient possibles au Nigeria par exemple, leur jeunesse insouciante, les activités sportives, les biens qu’ils disposaient (moto, commerce, bétail, femme !), les mariages traditionnels mais aussi les « Guidalay » (signifiant « chez la jeune fille ») ces balades nocturnes d’un village à l’autre pour trouver l’amour…

Je suis repassée au service pédiatrique du centre hospitalier de Tokombéré. Le projet se termine à la fin du mois et pourtant je me demande réellement comment l’autonomisation va perdurer. Sur le volet médical, cela fait quelques années qu’ils sont accompagnés mais sur le volet « soutien psychosocial » c’est une autre affaire… De plus, les prévisions pour la réponse humanitaire de 2021 ne sont pas réjouissantes : l’impact des crises sera plus fort mais sans pour autant que la réponse financière soit à la hauteur des besoins. Nous verrons donc bien ce que nous pourrons faire. En attendant, nous continuons de soumettre des propositions de projets.

C’est donc pour le moment la dernière fois que je déambule dans le service, entre ces petits êtres humains fascinés de voir une femme blanche (je n’ai fait pleurer personne !).

La prochaine visite sera donc pour l’année prochaine. En attendant, je ramène des fleurs d’hibiscus pour faire du bissap à la maison (ou du jus d’oseille, du folléré, comme ils disent ici) et un bon gros rhume.

Camerouniversaire #3

Dès le lendemain de la publication du précédent anniversaire, mon moral a plongé. Je ne sais pas si finalement j’étais en période « lune de miel » sans m’en rendre compte ou si c’est tout le reste qui m’a rattrapé d’un coup.

Il faut dire que c’est une mission bien différente des autres.

Ou pas.

Pendant ces premiers mois je voyais dans le Cameroun une mission « mature », un environnement professionnel solide, un environnement social classique. Une certaine liberté de mouvement, des bars, des cafés, quelques lieux culturels. Des familles. Il est vrai que pour une fois j’ai l’impression d’être sur une mission où il y a une vision, un socle. Cela tient peut-être aussi de mon poste qui me rapproche des décideurs contrairement aux précédents. C’était un peu mon prisme de vision pour tous les autres éléments de mon quotidien. Jusqu’à ce que je réalise que les histoires de petites culottes sont au cœur du quotidien des expatriés, ici aussi. Je pensais que ce n’était qu’en RCA que le côté « colonie de vacances » existait. En Birmanie oui un peu mais pas tant. En Jordanie, pas du tout. Et j’ai été pas mal de fois consternée de ce que je voyais, de ce que j’entendais.

Ce qu’il y a de différent par contre c’est mon éloignement du terrain. Je ne suis plus dans la mise en place directe d’activités mais au cran d’au-dessus.

Mes humeurs ont été comme la couleur de mes cheveux, changeantes. J’ai déjà l’impression qu’ils ont beaucoup trop poussé et rêve de pouvoir leur donner un coup de ciseau comme pour me décharger d’un surplus. Moins de cheveux sur la tête, plus d’air dans les neurones ?

Notre collègue qui a malheureusement décompensé m’a poussée aussi à passer un pacte avec ma collègue-colloc : qu’on doit veiller l’une sur l’autre avec respect et douceur pour éviter qu’on finisse en psychiatrie. Je me souvenais d’une nuit d’orage apocalyptique à Bangui où une collègue avait fait une crise de tétanie voulait partir à la clinique mais un arbre était tombé sur la route bloquant la voiture. Avec une autre collègue à ce moment-là nous avions fait le pacte de l’apocalypse (oui oui, toi Ann-Sophie). De veiller l’une sur l’autre. A croire que le pacte est toujours fonctionnel car nous sommes toujours en lien rapproché.

Mon responsable à la mi-novembre, alors que nous déjeunions ensemble, me sort « tu dois commencer à fatiguer non ? ». Sur le moment j’ai répondu à « ah mais pas du tout, non ça va » tout à fait spontané. En fait je crois qu’on ne réalise pas toujours comment certaines petites choses peuvent s’empiler discrètement dans un coin. Parfois une chose un peu plus grosse complète le tas. La poussière s’accumule bien entendu en même temps. Et à un moment, ça commence à prendre trop de place.

C’est à ce moment-là que le break est nécessaire.

Retrouver ses racines. Retrouver le fil dans les repères qui existent depuis toujours : amis, famille, lieux, symboles.

Ce n’est pas facile de réussir à faire basculer l’humeur, à prendre du recul, à relativiser quand on baigne dans un environnement inhabituel. Se dire que ces histoires, ce ne sont que des enfantillages qui ne représentent rien à l’échelle d’une vie. Se tourner vers les bonnes personnes, fiables, droites et respectueuses. Celles qui me connaissent. Prendre du recul et se concentrer sur les personnes qui ont pour le coup réellement besoin de notre attention, de notre énergie.

Lors d’un atelier sur le programme de réponses d’urgences (mécanisme de réponses rapides), j’étais probablement la plus jeune. Je regardais autour de moi ces femmes qui devaient être dans la quarantaine voire la cinquantaine (je suis nulle pour donner des âges, j’espère qu’elles ne se vexeront pas). Est-ce que moi aussi, quand j’aurais 40 ou 50 ans je serais encore entre deux continents ? D’une certaine façon, l’idée ne me déplaisait pas.

La question au fond est : est-ce que moi aussi je m’expatrierai avec ma famille ? la supposée famille que j’aurais fondée d’ici là ?

Sur le chemin du retour de cette réunion avec mon responsable, il m’évoque l’année de son diplôme. Je réalise qu’il a tout juste un an de plus que moi. Il a un an de plus que moi, une femme, deux enfants. Il me rappelle que nous avons déjà eu cette conversation en février dernier. J’avais déjà refoulé cette information.

C’est un peu là où je me dis que je suis (un peu) en décalage.

Une autre nenette que je connaissais de Bangui (et que ma collègue-colloc connait aussi, petit monde) est enceinte.

C’est un peu là où je me dis que je suis un peu (trop) en décalage.

Le prochain Camerouniversaire sera sur le chemin du retour à Yaoundé. Le break arrive d’ici 2 semaines. Retrouver le froid. Retrouver la COVID. Retrouver les amis (si possible).

En tout cas, j’ai acheté des pagnes et commencé la confection de vêtements mais je n’ai toujours pas acheté de plantes…