L’autruche est là – Camerouniversaire #6

Sur le trajet menant de l’aéroport de Maroua à la base, je réalisais que c’était dommage de perdre le rythme du blog car il y a tous ces petits moments dont j’aimerais me souvenir.

Le 11 février est férié ici et nous en avons profité pour passer 4 jours à Kribi. Cette fois-ci nous avons doublé le nombre d’habitant de la même maison (airbnb) louée, de 3 à 6. Forcément c’est une sacrée organisation mais l’océan invite à piquer une tête dès que l’effet du groupe est pesant. Nous avons profité de gambas et poissons grillés, de soirées à danser les pieds dans le sable, y compris un karaoké. Nous avons ri en chantant Frankie Vincent, nous avons trinqué à Jacques Brel et nous avons dansé sur Aveiro Djess.

Mes poils des bras blondissent, mon rose disparaît de mes cheveux, une mèche bleue a vu le jour. L’humidité est là, l’harmattan arrive avec son brassage de poussières. La saison des pluies approche.

Revenir à Maroua, ressentir ce même parfum dans l’air, ce calme dans les rues. Reconnaître de plus en plus de tête dans l’avion. Retrouver Brahim le chauffeur et sa playlist. Apercevoir l’autruche dans son enclos non loin de la guest. La collègue avec qui je voyage avait déjà passé 1 an à Maroua il y a… 9 ans. Sa mère était même venue la voir, visiter la région, elles sont allées notamment au parc national de Waza (devenu zone rouge). Samedi, lors d’un diner au restaurant chinois de Yaoundé, nous étions 3 nénettes du même secteur et l’une d’elle, notre aînée, nous racontait sa première mission au Yémen. 3 années là-bas, entre 2008 et 2011. Bien avant le conflit actuel. Elle allait à la plage à Aden, bougeait de ville en ville, vivait dans une maison du vieux Sanaa. Je l’enviais d’avoir pu voir des choses que plus personne ne pourra jamais revivre.

Nous discutions alors de notre place en tant que femme et expatriée, un statut ambigu dans certains contextes qui font de nous certes une femme mais avec un certain pouvoir. Elle racontait qu’elle oscillait entre les cercles masculins et féminins à l’époque au Yémen. Je repense à lorsque Caroline et moi étions invitées à un dîner en présence de différents chefs de village réunis à Maroua. Nous étions des femmes, dans le salon des hommes, à parler notamment de l’autrice des Impatientes, originaire de Maroua, qui était jugée comme « bien légère » par ces hommes et dont le talent littéraire était plutôt disqualifié. De nature diplomate et surtout à ce moment-là déjà infectée du COVID, je n’avais pas vraiment l’ambition de pousser la conversation. Par contre l’un des chefs témoignait d’un grand intérêt pour la santé mentale et notamment l’impact chez les ex-associés, c’est-à-dire ceux qui ont été enrôlés/kidnappés par les groupes terroristes et qui retournent ensuite dans leur communauté.

Si je suis ici c’est pour le démarrage d’un nouveau projet de cliniques mobiles qui vont aller vers la frontière avec le Nigeria, là où les attaques se répètent. Un projet prévu pour durer 2,5 ans. Autrement dit une crise qui est vue pour durer encore.

Malgré cela, malgré l’élan qu’apporte les visites terrain, j’ai l’impression d’être un peu essoufflée. Est-ce le cap des 6 mois (déjà !) qui apporte son lot de fatigue ? est-ce parce que mon break a été ridiculement court compte tenu de la situation ? est-ce les yoyos émotionnels de la vie privée ?

Si l’autruche est encore là, je peux passer au-delà moi aussi. La nuque un peu plus courbée comme elle mais le bec droit. Heureusement il y a ces petits moments qui m’amusent notamment lorsque je vais acheter mes yaourts chez Baba Boutou et que le vendeur m’accueille « Nassaraaaaaa ! ça faisait longtemps !!! » (pour rappel nassara = la blanche). Autant je n’en peux plus qu’on m’interpelle « eh la blanche » dans les rues de Yaoundé mais ce « Nasaraaaa » de Maroua a été pris avec chaleur et surprise.

Je croise une biche dans la cour d’un hôtel où nous tenons un atelier de lancement de projet. Je croise toujours ces lézards rouge et noir à la guest. Je visite un espace mère-bébé et ne fais pleurer aucun enfant (une victoire !). Nous nous régalons le soir au resto Porte Mayo (sans pavlova à l’ananas malheureusement mais je peux vous parler des tagliatelles au capitaine fumé !!). Et puis nous repartons.

Je n’ai toujours pas signé ma prolongation de contrat, comme si cela me donnait un pouvoir.

Sinon, j’ai racheté une plante verte à Yaoundé !

On pousse, on cale

J’ai perdu le rythme du blog.

C’est officiel.

Ce n’est pas qu’il ne se passe rien, c’est que je prends moins le temps de me poser et que je fatigue un peu. Il faut dire que l’absence de Caroline à mon retour est un peu pesant et que je ne sais vers qui trouver le soutien lorsque mes échecs sentimentaux passés refont surface. Il y a beaucoup de collègues de passage à la guest et je ne m’y sens du coup pas vraiment chez moi (surtout quand ils boivent vos bières, mangent devant la télé et laissent leurs miettes partout…). Du coup je m’isole un peu, trop de passages. Mais j’ai mes belles fleurs qui poussent sur mon balcon, que je salue matin et soir. J’attends avant de planter mon basilic.

J’ai commencé la série « en thérapie » diffusée sur Arte. Je recommande chaudement. J’aime beaucoup les textes, les pics qu’on balance aux psy (je n’ai vu que les 2 premiers) et le jeu de rôle de l’acteur qui joue justement le psychiatre/psychanalyste… Ça pourrait presque donner envie de s’installer en libéral.

Une nouvelle collègue a rejoint l’équipe (même deux en fait). L’un remplace Caroline, l’autre remplace mon équivalent sur le volet santé et nutrition. C’est rassurant d’accrocher avec des personnes quand on baigne dans un marasme antisocial. Elle vit ici depuis 10 ans, elle a un an de plus que moi et déjà 3 enfants (je pose ça là, 34 ans et 9 mois non ?). Les deux ont leur propre logement. L’autre jeune homme est venu rejoindre sa chère et tendre ici. Ils se projettent sur un contrat d’un an « pour commencer ».

C’est au moment où je reviens sur la conclusion que mon choix professionnel n’est pas compatible avec une vie sentimentale que je vois ce contre-exemple parfait. Il y a donc quelque chose que je fais mal ?

Dans la semaine, mon responsable me reparle de ma prolongation « on avait dit jusqu’au 31/08 ou après ? »

J’ai bugué.

Entre dire « je me vois rester jusqu’à l’été » et fixer le « 31/08 », j’ai eu la réaction de la biche au milieu de la route qui gèle sur place face à la voiture.

J’ai esquivé la conversation pour le moment. On verra la semaine prochaine.

Nous sommes déjà en février, mon mois est déjà complet avec une visite prévue à Maroua la dernière semaine. Je vais éviter de ramener la COVID avec moi encore. Nous démarrons un projet sur lequel nous allons tenter de mener une recherche pour évaluer l’efficacité entre deux protocoles de traitement du psychotraumatisme.

J’avance en apprenant.

Pas de quoi se plaindre.

Pourtant c’est ça ce qui parfois rend un peu schizo : aimer son job tout en étant épuisée par les à-côtés. Je manque de cohérence dans mes vécus. D’unité.

Sur une note plus détendue, nous repartons avec la bande à Kribi, dans la même maison airbnb que nous avions loué pour le nouvel an. En parlant à droite à gauche, je réalise que tout Yaoundé sera là-bas. Heureusement notre maison est un peu excentrée ce qui nous offre l’éloignement de l’effervescence. Je sens que je vais avoir du mal à mettre les pieds dans l’eau après les piqures de méduse et les morsures aux orteils d’animaux aquatiques non identifiés. Mais faire l’étoile sur les vagues… heureusement qu’il y a ces moments-là.

Il neige en France.

A Yaoundé ça chauffe.

On pousse, on cale comme on dit ici.

Camerouniversaire 5 (en retard)

Une vue sur les Alpes depuis mon hublot à la mi-janvier, le trajet du retour déjà. Petit break, gros dodos. Le Sahara est toujours aussi beau vu d’en haut. Je me remets à moitié dans le bain, télétravail COVID oblige même si je doute de son utilité étant donné qu’il y a 3 semaines encore j’étais positive. Une collègue est quand même venue me voir à l’appartement pour me saluer chaleureusement.

Le moral se fait petit. La maison n’est plus la même sans Caroline. Je ne sais pas avec qui faire un pacte de l’apocalypse du coup. J’ai planté mes graines de fleurs, accroché mes fanions partout dans le salon, ajouté des photos aux murs, essaye de rendre l’espace plus agréable. Je vais récupérer des coussins que ma couturière a réalisés durant mon absence. Peut-être que le cocooning est propice à l’apaisement. Figurez-vous que j’ai aussi fini par acheter des plantes !

Je retrouve la bande des zouzous quand même et cette routine, ces propositions de projets, ces fins de programmes, ces débuts d’autres… mais cette fois j’ai l’odeur du thé earl grey french blue de Mariage Frères qui parfume mon bureau depuis ma tasse.

Retourner au bureau c’est un peu comme retourner à l’école : j’ai l’impression que cela fait bien longtemps que je n’y ai pas mis les pieds ! Et rapidement on reprend le pli.

Le week-end je retrouve la piscine. Je retrouve les bars mais le cœur y est moins. Le sentiment d’une catastrophe imminente, une angoisse que je n’arrive pas à saisir pleinement. Je me réveille anxieuse sans cause définie.

Je discutais avec un ami de mon sentiment de flottement et il me disait, avec son accent italien à couper au couteau « mais tu étais où y’a un an ? et tu seras où dans un an ? » et il visait juste. Le sujet de l’instabilité géographique et de son impact sur les relations est revenu dans les conversations avec deux autres amis. Nous partagions le même constat que nous n’avions pas les compétences pour maintenir une relation à distance (et pourtant j’ai essayé de m’en convaincre !). Un autre italien m’expliquait être au Cameroun depuis 25 ans et qu’avec le temps, même ses relations amicales avec les gens de la fac se sont estompées, que les chemins se sont éloignés. Je pensais alors à mon noyau dur d’amis, les quelqu’uns qui comptent vraiment en espérant ne pas connaître le même sort. Bon après je ne compte pas vivre 25 ans à l’étranger.

Où trouver le réconfort ? Mettre des huiles essentielles sur son matelas avant de se coucher, regarder mes fleurs pousser, marcher dans le quartier et être saluer chaleureusement par des inconnu.e.s, se faire une salade avec plein de bons légumes (et des tomates qui ont le goût de tomates), craquer et acheter du Haloumi, faire encore du jus de bissap.

Parfois ça ne suffit pas. Alors on pense à Kribi. On espère éviter morsures, piqures, brulures. On repense à des souvenirs agréables.

Au bureau, cela fait déjà 5 mois (oui je sais je n’ai pas écrit mon Camerouniversaire 4 et avec du retard pour le Camerouniversaire 5…) et je suis à l’étape de soumettre des propositions de recherche en psychologie, ce qui est carrément intéressant. J’ai une certaine liberté de créativité et ça me plait. J’ai au moins cette chance.

J’ai aussi cette chance de ne pas être dans un contexte COVID lourd et contraignant, au pays de « la maladie des blancs ». Tout est accessible, tout est ouvert. « Notre système immunitaire est plus fort que les vôtres ». Pas de masque obligatoire, sauf au bureau. « J’ai sans doute déjà eu la maladie mais sans symptômes ». Pas de distanciation sociale. « On a l’habitude de ces maladies, on a tellement pris d’anti-paludique qu’on n’attrape pas la COVID ». A peine le gel hydroalcoolique, sauf au bureau. « Personne n’en meurt ici, pas comme en Europe ».