Voyager au temps du COVID-19 c’est déambuler dans un aéroport moins bondé que d’habitude, c’est ralentir un peu la cadence. Il y a toujours les personnes manifestement angoissées à l’idée de prendre l’avion, les personnes qui courent d’un bout du terminal à l’autre pour un embarquement immédiat. C’est devoir passer ses bagages (cabine et soute) à l’eau de javel en débarquant, c’est glousser lorsque le passager de première classe rechigne à laisser sa housse de costume en crocodile bleu se faire javelliser. Les biens de valeurs et virus ne font pas bon ménage. C’est voir un père de famille refuser que la poussette (avec l’enfant calé dedans) connaisse le même sort… !
On oublie à quoi ressemble les débuts d’une mission, la boule au ventre, l’impression d’être tout en bas d’une montagne aussi haute que l’Everest, le vide laissé par l’absence du cercle familial et amical habituel. J’oublie systématiquement l’énergie qu’il faut pour sortir de sa zone de confort, les questions qui reviennent en creux « pourquoi se mettre dans ces situations ? pourquoi s’infliger ce stress ? », l’endurance et la volonté que demande ce type de marathon émotionnel. J’ai l’impression que toutes mes cellules sont en état d’alerte face à une nouveauté qui n’est pourtant pas si nouvelle que cela à la différence que je ne suis pas là pour 6 semaines mais pour 8 mois et que finalement, Yaoundé, je ne te connais pas. Je retrouve cette perte totale de repère géographique lors des déplacements en voiture mais à côté de ça je retrouve ces étales de fruits exotiques foisonnantes. Je ressens ce décalage immédiat en traversant en voiture un marché nocturne, les enceintes blastant à fond des airs de rumba. Je ressens ce creux abyssal laissé par les personnes qui me manquent déjà.
Une année s’est écoulée depuis ma dernière longue expatriation, 2020 ne s’étant pas du tout déroulée comme prévue. Je pensais partir en mission plus tôt que cela, faire un bon semestre sur un terrain et démarrer un autre diplôme universitaire à la rentrée pour me « poser un peu » à la capitale. J’avais une certaine envie de voir à quoi pourrait ressembler la réalité d’un job en France, dans un contexte « cliniquement » stable. Pour chacun, cette année a fait dévier tous les projets qu’on a pu se fixer au moment du réveillon.
Au bureau je retrouve aussi déjà le rythme des arrivées et celui des départs. Les scénarii des missions pourraient presque se superposer. J’ai bien souvent démarré mon contrat par des pots de départs d’autres collègues. Dans ce cas-là, un staff camerounais qui est à l’aube de sa première expatriation. Nous échangeons et je lis dans ses mots les inquiétudes de l’inconnu et l’excitation d’une évolution professionnelle.
Il y a effectivement quelque chose d’un peu inédit dans le fait de revenir, revoir certaines têtes. Rassurant certes. Mais cela n’enlève pas toute l’appréhension lié à la prise de poste. Je tente aussi de contre carrer le vertige des 8 mois par une personnalisation de l’appartement (en regrettant de voir les plantes vertes, qu’une ancienne collègue de la mission avait soigneusement choyer, toute fanées). Généralement je pioche des meubles dans le couloir mais l’appartement est plutôt minimaliste ! Pas grave, une ambiance zen est aussi propice à l’apaisement des esprits (mais bon quelques plantes vertes vivantes, ça ne serait pas du luxe !). J’ai donc déjà démarré des boutures en piquant par-ci par-là quelques branchages… en attendant de recevoir mon perdiem (les indemnités couvrant les frais de vie en mission) pour acheter de la décoration.
En attendant, l’immersion dans la vie est immédiate. Nous sortons prendre un verre le samedi soir, la météo est plus qu’agréable. Une serveuse vient nous informer de l’ouverture d’un club échangiste « à quelques secondes » de l’endroit où nous nous trouvons, si nous souhaitons y aller après notre verre.
Pour l’heure, une bretonne d’une autre ONG organise un goûter/dîner crêpes dans un petit compound avec piscine pour les résidents. Je file donc sortir mon maillot de bain de ma valise en guettant les gros nuages gris recouvrant l’horizon. Je me laisse porter par les propositions sociales en attendant de m’établir, corps et mental, dans ce nouvel environnement. Aussi, m’a-t-on prévenu que dans cette piscine, on a pied nulle part. Est-ce ça le bain des grands ?