Une publication pas comme les autres.

Ce billet est un peu différent des autres car il s’agit plutôt de faire un peu de publicité pour mon petit guide / cahier d’exercices publié mardi.

Eh oui, encore une fois, je parle de la rupture. Pourtant il s’agissait initialement d’un seul et même projet que j’avais débuté en 2013. Oui, en 2013… je me mettais à la rédaction et commençais à démarcher avant mon premier départ en mission en 2014. J’avais eu un premier RDV avec les éditions Eyrolles, quelques jours avant de partir en Birmanie. Ce premier manuscrit combinait recettes de cuisine et développement personnel, pour cuisiner selon ses humeurs et les analyser en même temps. Le retour avait été négatif mais il m’a permis d’avancer. Mon interlocutrice m’a expliqué que le comité de lecteurs était confus car mon projet s’inscrivait sur deux lignes éditoriales. Je commençais à apprendre le jargon des éditions.

A mon retour de Birmanie j’ai repris le travail en distinguant les deux projets et très rapidement ce sont les éditions Solar qui ont mordu à l’hameçon pour le versant « recettes de cuisine ». Je rencontre les éditeurs de la section cuisine, au lendemain des attentats de novembre. Le courant passe aussi très bien et vous connaissez l’histoire : en 2016 je publie un premier petit cahier. C’était une chouette expérience qui s’était déroulée en l’espace de quelques semaines à peine et je me souviens encore corriger le manuscrit pour coller à leur chemin de fer souhaité (la trame du livre) avec l’aide de mon frère dans un avion de nuit entre Tel Aviv et Paris. Lorsque j’avais reçu le pdf de la version illustrée j’étais heureuse et agréablement surprise. C’est comme si je me prouvais des choses dont je ne me pensais pas capable.

Il me restait donc la partie « développement personnel » que j’ai repris plus longuement pour en faire un cahier d’exercices et de conseils. Après tout, j’ai eu la chance de la débutante alors pourquoi ne pas continuer d’avancer ? J’ai démarché beaucoup de maisons d’édition et ai eu beaucoup de retours négatif. Y compris de Solar. J’ai relancé Eyrolles et ils sortaient déjà un livre similaire (autant dire que j’étais bougonne). J’ai envoyé aux éditions Jouvence à l’hiver 2017 puis au printemps 2018 (pensant que je ne leur avais pas encore envoyé). Il y avait eu quelques échanges d’email puis silence radio et entre temps je partais en RCA. Le manuscrit n’était plus ma priorité.

Quasiment un an plus tard, en atterrissant à Paris pour mes congés d’avril 2019 j’ai 2 messages sur mon répondeur datant de mars (oops) de la part du directeur des éditions Jouvence. Nous finissons par échanger par téléphone lors de mon break et il me met en contact avec la responsable de la collection. Lorsque j’avais un peu de temps de libre je commence à retravailler de nouveau le manuscrit pour satisfaire leur collection « mon cahier d’exercices ». Je rencontre l’éditrice lors d’un autre congé parisien, pendant la canicule, début juillet. Le courant passe tout de suite. Je continue d’avancer à Bangui tout en touchant du bout du doigt la fin de mission. C’était l’effervescence. Puis un jour de la fin août, j’envoie la version finale, avec les parasites du paludisme dans les veines.

Puis il y a eu plusieurs aller/retour pour valider des modifications, étoffer d’autres choses. Faire une photo correcte de moi. Puis pour valider la couverture, la mise en page. Et nous voilà un 28 janvier 2020 et le projet est abouti.

Jamais je n’aurais pensé être en mesure de publier deux fois, même si on est loin du Goncourt. Surtout entre l’idée dans la tête en septembre 2013 et le résultat final sur la table de la cuisine chez ma mère en janvier 2020. Mon père aurait été aussi content qu’amusé je pense.

Maintenant on dit bien « jamais deux sans trois ». J’ai l’idée du troisième et la rédaction a commencé, j’avais oublié que c’était long en fait de produire un texte…

En attendant, vous pouvez donc trouver le petit cahier d’exercices « se relever d’une rupture sentimentale » en librairie (et sur internet) et profiter de la Saint Valentin pour faire passer quelques messages.

Maroua, Tokombéré, Makalingaye

Autant de noms exotiques qui ont occupés mes journées. Cette semaine a été très intéressante car j’ai pu aller visiter certains centres de santé. La première chose qui m’a surprise est le faible nombre de patients dans le centre hospitalier principal. A Bangui, il y avait plusieurs patients par lit, les salles débordaient, les médecins ne savaient pas toujours où donner de la tête. Ici, il y a qu’une salle de suivi. Alors certes, nous ne sommes pas encore en période de soudure, les greniers ne sont pas vides et il est « normal » d’avoir peu de bénéficiaires. Mais même dans les périodes plutôt calmes, les salles ne désemplissaient pas en RCA. Un autre élément à prendre en compte est que nous sommes aussi dans la brousse et non à la capitale. Mais à Yaoundé, il n’y a pas les mêmes difficultés qu’à Bangui.

J’ai reconnu le signe de mon intégration dans l’équipe. Certains collègues m’appellent déjà « maman ». Je retrouve donc les « maman » et les « papa ». Ils sont heureux d’avoir un « psy » dans l’équipe et sont vraiment en demande. Certains chefs de centre me recherchent pour tailler bavette mais aussi réfléchir sur les solutions à envisager pour aller plus loin dans leurs activités. Ce qu’il faut savoir c’est que chaque pays a son protocole national de prise en charge de la malnutrition et il y est inscrit une partie sur les stimulations physiques et émotionnelles sauf que personne ne s’en préoccupent vraiment, à la fois par manque de connaissances sur ces thématiques mais aussi par manque de ressources humaines disponibles. Il n’y a pas de spécialistes alors comment bricoler ? est-ce bien de bricoler ? L’un des chefs de centre me confiaient qu’au début de sa carrière (il est âgé donc je suppose il y a au moins 20/30 ans) les agents de santé ne savaient pas ce que c’était que la malnutrition et quand un enfant arrivait tout maigre, ils perfusaient et gavaient ce qui provoquaient un choc chez l’enfant qui allait droit vers sa mort. Il me disait qu’ils ont tués de nombreux petits bouts en pensant bien faire car ils ne savaient pas. J’ai été touché par son honnêteté. Après nous avons dévié sur son séjour à Brest. Il a passé 1 mois en France il y a bien longtemps et ce qui l’a le plus déplu est le manque de chaleur humaine. Et c’est vrai. Le rapport n’est pas du tout le même ici qu’en France. Et je peux comprendre que lorsqu’on est habitué à saluer tout le monde, cela fait bizarre de ne même pas dire bonjour à son voisin.

Ce week-end a été l’occasion de faire un tour pour partir à la recherche de quelques babioles, notamment en passant au marché artisanal et au village artisanal. Globalement, il n’y a pas grand-chose… Beaucoup de cuirs sous différentes formes, des meubles en cornes de vaches (car ici elles ont des sacrées cornes), des pots tressés en paille, des outils forgés… Mon petit per diem ne va donc pas trop s’envoler et ma valise retour pas trop s’alourdir. Encore une fois je ressens les vestiges d’un tourisme d’autrefois. Et c’est dimanche, l’entraîneur du tennis qui nous explique avec ma collègue qu’auparavant, ce petit lieu sportif était très fréquenté. Nous constatons la piscine vide. Il raconte qu’il y avait même des cours d’équitations, des soirées à thèmes, que les expatriés se mélangeaient aux touristes et aux camerounais, tout le monde était heureux. Maintenant, c’est la galère alors il est content de nous voir. Il sait bien que les touristes ne peuvent plus venir dans cette zone rouge, un basculement depuis 2011. Même les expatriés sont rares. Il nous dit que pour les gens ici c’est compliqué car eux même ne peuvent pas aller et venir où ils veulent, eux-même n’ont plus la liberté des sorties récréatives, des sorties “qui font du bien”. Des lieux à quelques heures de Maroua sont dorénavant perçus comme dangereux.

En parlant de voyage, justement l’une de mes collègues m’expliquait qu’elle avait des migraines ophtalmiques et qu’elle serait absente du bureau jeudi et vendredi. Un autre collègue que je croise sur le terrain me demande si je suis au courant qu’elle sera absente en me donnait le motif « qu’elle voyage ». Je lui dis que oui car elle va chez l’ophtalmo. Puis d’un coup je réalise que pour aller chez l’ophtalmo il faut effectivement voyager. L’accès aux soins est vraiment problématique et leurs qualités semblent se questionner car j’ai déjà entendu plusieurs histoires de personnes hospitalisées ici qui ressortent les deux pieds devant…

En parlant de devant, justement, je me questionne déjà sur la suite. Il y a toujours très peu d’offres d’emploi dans mon secteur, je ne trouve pas le temps d’avancer sur la rédaction de mon autre projet de petit guide, et surtout, je n’ai pas envie de traîner les angoisses de l’attente à Paris. Remplir le vide. Encore et toujours. Même lorsque le vide n’est pas encore vide. Il y a l’anticipation du vide à venir.

En attendant, je planifie ma semaine sachant qu’elle va passer bien vite mais avec un léger pincement au cœur de ne pas être sur Paris mardi car mon petit livre sort ! Ma mère a déjà reçu mon carton contenant mes exemplaires mais je vais devoir attendre encore avant de le tenir entre mes mains. Et si j’ai bien mon vol UNHAS de vendredi, le prochain billet sera écrit depuis N’djaména…

Première semaine à l’extrême nord

Je retrouve le rythme des semaines qui passent en un battement de cil. Entre la découverte de la mission, des équipes, des programmes, les journées ont été bien remplie si bien que je finis la semaine sur les rotules.

En passant du temps avec les travailleurs psychosociaux du programme, j’ai pu saisir quelques problématiques. Je garde quelques réflexes banguissois et suis étonnée d’apprendre qu’il n’y a pas beaucoup de traumatismes psychiques répétés ici. Il y a par contre beaucoup de pauvreté, il y a beaucoup de deuils compliqués, les croyances, comme en Centrafrique, sont omniprésentes et compliquent la prise en charge de la malnutrition aigüe sévère. Il faut se rapprocher encore plus de la frontière avec le Nigeria pour constater les effets traumatiques des attaques de Boko Haram, crise relativement récente qui n’a pas encore laissé d’emprunte au sein de la population entière ni au fil des générations.

Disons que cela met le contexte centrafricain en perspective et permet de prendre conscience à quel point la RCA va mal. Non pas que je généralisais mais je constate avoir fait quelques raccourcis en arrivant au Cameroun. En RCA, on pourrait quasiment dire que tout le monde a vécu un traumatisme, de génération en génération. Et les événements continuent…

Un soir en dinant avec d’autres expatriés, dont certains avaient aussi été en RCA, ma voisine de droite (qui elle n’y avait jamais travaillé) me demandait comment était-ce possible de garder espoir. A ma petite échelle et de ma petite expérience, je lui disais que pour moi, j’avais eu ces cas désespérés, ces situations où j’étais totalement au bout du rouleau mais il suffisait d’une rencontre pour me redonner foi en l’humanité. Je pensais à certains collègues, à certaines personnes. Je suis certes à un niveau très micro mais pour moi, c’était pour ça que j’ai tenu 12 mois. C’était ces rencontres qui me redonnaient le courage d’avancer même si je réalise à posteriori que cette expérience m’a aussi éloignée de mes repères initiaux.

C’est aussi ici que je réalise tout de même avoir tant appris en 12 mois à Bangui. J’aime remarquer la continuité de ces expériences et il y avait ces moments dans la semaine où j’étais profondément satisfaite, presque excitée par ce que je faisais.

En route vers Tokombéré (1h de route de Maroua vers la frontière avec le Nigeria) j’observais les changements géologiques et pendant quelques secondes je me sentais chanceuse, privilégiée. J’étais face à ces montagnes composées de roches énormes entassées.

Et puis il y a le revers qui s’infiltre par moment et appelle à la solitude et à la mélancolie, surtout lorsque le réseau internet ne fonctionne plus, surtout lorsque je passe une mauvaise nuit. Alors d’un coup, les pagnes ne sont plus aussi beaux, les chiens errants deviennent hostiles, les maux de têtes deviennent persistants.

4 semaines ce n’est rien. Alors je tiens.

Dimanche matin, avec 2 collègues, nous sommes allés nous balader jusqu’à grimper en haut d’une des collines qui entourent Maroua. Le panorama était plongé non pas dans la brume mais dans la poussière. L’un des collègues, un tchadien, ingénieur en agronomie, m’expliquait les plantes qu’on croisait : celle-ci est utilisée pour ça, celle-là pour çi. Nous crapahutions dans les cailloux, accompagnés par des cabris funambules. Le soleil était doux, le fond de l’air agréable. Un drôle de sentiment de liberté dans un contexte « orange » c’est-à-dire à la sécurité volatile. Mais à Maroua, les risques sont dorénavant très faibles et le trio rentra à pied, en allant saluer l’autruche et les singes, en allant saluer les paons d’un vieil hôtel abandonné. Ça aussi c’est étonnant car nous pouvons deviner les vestiges d’un tourisme présent qui allait visiter les parcs nationaux maintenant occupés par des groupes armés.

Drôle de monde.

Alors je continue d’être une éponge et d’apprendre, de partager, de créer du lien entre toutes ces histoires, toutes ces rencontres.

Et à vous le raconter.