Je ne partage plus que les camerouniversaires alors pourquoi ne pas aussi partager mon « vrai » anniversaire. J’ai donc 34 ans aujourd’hui. Claranniversaire #34.
Anniversaire et deuil forment un cocktail plutôt déstabilisant. Les souvenirs des fraisiers de l’enfance et des gâteaux partagés avec mes parents (après avoir quittée le nid familial mais que je tenais à souffler les bougies) ressurgissent. Le message de mon père pour mes 30 revient comme la marée chaque année. Mon propre mascaret interne. Et on peut le dire, cela fait plutôt mal au cœur.
J’ai oublié le nom de cet effet : quand vous portez votre attention sur quelque chose et qu’après vous voyez des liens avec l’objet d’attention partout dans le quotidien. Cette mission appelle ce phénomène de façon aussi lugubre qu’étrange : 3 collègues expat’ ont perdu leur père cette année et ont dû rentrer brusquement dans leur pays d’origine pour quelques semaines. La semaine passée, une collègue camerounaise a perdu son beau-père et en vient à me parler de la perte de son père, 5 ans plus tôt, et de la difficulté qu’elle a encore à s’en remettre. Deux autres collègues expats ont aussi perdu leur père en 2020. Ce sujet qui revient me renvoie sans cesse depuis le début de la mission à mon propre deuil. Il n’y a que deux personnes qui sont au courant ici de mon vécu.
J’ai souvent comparé le deuil à l’ « upside down » tiré d’une série « stranger things ». C’est une histoire d’un groupe d’enfant avec une jeune fille qui a des super pouvoirs pour lutter contre des créatures qui vivent dans cet « upside down », un monde parallèle à la réalité, sombre, dangereux, ouateux. Un monde parallèle que tout le monde ne peut pas voir. Mais si on tombe dans l’upside down, la réalité ne sera plus jamais la même et il est difficile de revenir dans le monde normal. Vous ne trouvez pas que cela n’est pas sans rappeler les sensations du deuil ? Ce décalage avec les autres, ce fameux « ils ne peuvent pas comprendre car ils ne l’ont pas vécu ».
On les connait en thérapie, les phénomènes des anniversaires. Ces dates clés qui ramènent leurs vagues d’émotions. Cela fait quelques années que je n’ai pas fêté mon anniversaire. Je souhaite bousculer cela cette année, retourner l’énergie, ramener de la vie. L’année dernière j’avais fait l’effort de me faire un peu jolie, j’étais allée boire un verre au bar à côté de chez moi qui fait des super bons moscow mule puis aller manger du pulled pork avec mon compagnon de l’époque. Mais le cœur n’y était pas du tout. J’espérais aussi recevoir un message de Guillaume. Il y a deux ans j’étais à Bangui. Trois ans en France. Quatre ans en Jordanie. Et avant cela je ne me souviens pas de mes anniversaires. Je crois que la dernière grosse fête c’était pour mes 24 ans. Y’a dix ans. L’époque où j’invitais tout le monde chez mes parents pour des soirées à thème.
En ce moment je lis Delphine Horvilleur et aurait beaucoup aimé discuter avec lui de cette femme rabbin, son style littéraire (très agréable à lire d’ailleurs), de ses idées, son positionnement. J’aimerais lui dire que j’ai été publiée une deuxième fois et que j’écris actuellement une BD sur mon job avec une maison d’éditions. J’aimerais lui raconter ces expatriations. Nous devions faire un livre de cuisine « des religions », nous devions faire Compostelle. Et tant d’autres regrets qui reviennent avec la vague de l’anniversaire.
Alors je me demande : où est mon père ? dans quel signe ce cache-t-il en ce jour spécial dans ma vie? Je n’ai pas vu d’arc-en-ciel, je n’ai certainement pas croisé de chowchows. Je n’ai pas le souvenir d’avoir rêvé de lui la nuit passée. Comment veille-t-il sur moi en ce jour spécial ? Et puis c’est finalement pendant ma session de yoga qu’une évidence m’est venue. Il a mis sur mon chemin les personnes géniales que j’ai rencontrées ici. Celles qui m’ont invité au resto à midi avec la bougie sur le gâteau, celles qui (je le sais même si je ne dois pas le savoir) ont prévu le menu de ce soir au resto italien, celles qui me portent et m’encouragent au quotidien et celles que j’apprécie accompagner le temps de cette expérience d’expatriées. L’expatriation force la rencontre mais notre fonctionnement relationnel se modèle en grande partie sur ce que nos parents nous ont transmis. Alors je pense que c’est là où mon père est : dans la transmission du lien à l’autre, de la rencontre, du partage et surtout du plaisir de la bonne bouffe et du bon vin!
Cette année je veux tenter d’alléger ce passage. Je veux me laisser porter par la bienveillance. Accueillir l’amour sans amertume.