Voilà, déjà le premier mois de plus qui est passé en un rien de temps. Je pense beaucoup à l’Asie ces derniers jours… est-ce là une envie de redémarrer une nouvelle boucle ? La saison a amené des ananas et des mangues (certes moins bonnes qu’en Birmanie) en profusion dans mon assiette. J’ai même suivi un premier cours d’auto-défense. Un vestige de projet non réalisé en Jordanie.
Ce mois-ci a été compliqué émotionnellement. J’ai cumulé plusieurs infections, je commence déjà à stresser de la fin de mon contrat (même s’il me reste 3 mois), je réalise qu’il n’y a rien après contrairement à mes expériences passées et cet appel du néant me pousse un peu dans mes retranchements. Je me force à boire beaucoup d’eau pour affronter le quotidien. Voilà sans doute la seule chose dont j’ai la maîtrise.
Pour anticiper le retour je prépare du linge de maison en pagne. Et puis, il y a ce break qui génère aussi son lot d’angoisse : c’est compliqué de passer d’un extrême à l’autre, de tenter de retrouver une place à Paris, une place à Bangui, d’expliquer aussi le besoin de solitude. Je repousse la demande de mon vol au maximum. Puis, en changeant de manager, il y a de nouvelles dispositions et moi qui pensais pouvoir prendre un dernier break en juin je découvre que finalement ça ne sera pas possible. Autrement dit, mon prochain break sera mon dernier et je dois donc déjà ramener un lot d’affaires, babioles et compagnie. Cela fait beaucoup à penser.
Toujours des départs parmi les collègues et je deviens « la plus ancienne » de la base. Quand je les vois partir, j’imagine le moment où ça sera à moi de faire mes adieux. Il y aura sans doute le soulagement de revenir à la réalité, de quitter cet environnement où mes moindres mouvements sont contrôlés, où je ne peux pas déambuler dans les rues, où je ne peux pas aller où je veux, où je questionne le fruit de mon obstination professionnelle. Mais il y a la tristesse de quitter mon équipe, de partir en milieu de projet, de quitter mes collègues expatriés, de quitter la piscine… Alors où trouver l’apaisement ? Comment se protège-t-on de ces situations ? Doit-on rester dans le déni jusqu’à l’aube du vol de retour ?
Cette mission est plutôt unique. Il y avait des ressemblances entre mon rythme en Jordanie et celui de Birmanie. La liberté des mouvements, une vie quasi normale. En RCA, la vie est toute autre. On croise toujours les mêmes personnes dans les mêmes lieux, les seuls autorisés. Nous sommes à huis-clos dans la ville. Nous visons les uns sur les autres. Les collègues sont la famille de substitution. On partage quasiment tout : de nos soucis gastriques à nos difficultés professionnelles, nos ras-le-bol et nos joies. J’essaie pourtant de garder autour de moi un territoire personnel, un jardin privé qui ne peut pas exister ici, des douves infranchissables. Je ne veux pas tout dire de mon chemin. Mon univers français et mon univers centrafricain ne peuvent se superposer. Je suis partie pour respirer de nouveau. Ici, j’ai pu retrouver le plaisir de sortir, je ne me sens pas à la marge, je ne suis pas la fille de. Ici je trouve un écho à la douleur. Elle peut avoir un support. Ce n’est pas juste dans ma tête, c’est dans l’histoire de chacun. Dans la semaine, j’ai eu une conversation plutôt personnelle avec mon adjoint, un centrafricain qui travaille pour ACF depuis 2013. C’était un peu la première fois. Après 7 mois. On parlait de nos familles. Il me montre des photos de ses enfants. Je lui montre des photos de ma famille. Il questionne où est mon père. Je lui réponds. Son regard suffisait à exprimer la compassion. Puis nous sommes passés à la conversation suivante. Il a mis un pied dans ma douve mais n’a pas franchis. Il a compris.
Que se passe-t-il après ? Comment quitte-t-on un huis-clos ? Que deviennent ces liens ? Est-ce que certaines rencontrent doivent rester géographiques ?
Comment partir en paix ?