C’est par des temps relativement funestes et compliqués que je m’apprête à boucler mes valises, une nouvelle fois pour retourner au Cameroun sur un autre poste, toujours avec la même ONG. Je repasse des nuits agitées, la tête pleine de détails. Je déteste cette partie: cartons, tris, déménagement, sous-location, au-revoir… Je ne m’y ferai jamais. Pourtant je dois aussi apprendre à lâcher… (et aussi à moins accumuler… Oui maman, je rangerai les caisses dans le grenier… un jour…).
Pendant le confinement, j’ai eu la “chance” de travailler à Paris et de découvrir aussi les secteurs associatifs et du médico-social. De vivre le “il y a tant à faire chez toi” et bien souvent, j’ai trouvé cela plus difficile. Je ne sais pas si c’était les spécificités de la crise COVID-19, le télétravail, les rues désertes ou si c’était le “chez toi” qui m’ont laissée très perplexe. On la voit, on la connait, cette pauvreté au coin de la rue, dans le métro. On se dit que pourtant en France, le tissu associatif est assez dense. Je me rappelle de situations en RCA où j’épuisais toutes les idées d’orientation de personnes en grande vulnérabilité en 5 appels faute de ressources locales. À Paris, il y a bien souvent des référencements possibles mais la demande est telle, la détresse si vive, le décalage si marqué et le virus n’a évidemment pas arrangé les choses. J’ai aussi vu mes collègues s’épuiser et d’autres professionnels au bout du rouleau. “Comme sur le terrain”…
Je reprends donc d’anciens rituels : acheter des porte-clés Tour Eiffel, faire une ordonnance à rallonge, sélectionner les culottes en coton, refaire des lunettes de vue, vider le frigo, les placards… constater quelques denrées périmées au passage… me dire qu’il faudra qu’un jour j’utilise ces gousses de vanille de La Réunion et ce poivre noir du Cambodge. Je passe au siège récupérer pour 11 kg de matériel à amener dans mes valises pour la mission.
Ça a beau être le cinquième départ, j’ai toujours la petite boule au ventre et la voix dans la tête qui me disent “mais pourquoi ?”, le découragement de la préparation, tout en sachant qu’une fois les briefings pré-départ lancés, la motivation reprendra le dessus. Je cherche donc où imprimer les documents pour le visa, je me questionne sur la longueur adéquate de ma prochaine coupe de cheveux. Je me frotte encore le nez du test PCR en observant un bleu se former sur la veine du pli de mon coude. Je repasse à Guimet, je passe voir l’expo Pompéi, je passe à Jacquemard-André. Je charge les batteries face aux montagnes. J’anticipe déjà la chaleur de l’équateur, la fin de la saison des pluies. Cette sensation vertigineuse s’empare de moi lorsque je compte les jours puis les heures avant le départ. Je sais que les choses se passeront bien mais je n’arrive pas à apaiser ce petit neurone affolé par le changement, après une année majoritairement parisienne. J’aimerais étirer le temps jusqu’à me sentir prête, me vivant comme au bord d’une falaise dont le plongeon est la seule issue (ou comme retirer sa première bande de cire). Plongeon dans un environnement peu connu (je sais où manger des burgers de capitaine), retrouver ces sensations de sueurs, ces routes de latérite, ces kiosk bruyants. Plongeon dans de nouvelles responsabilités, attentes du siège, attentes du terrain, décalage entre les deux forcément… Plongeon dans de nouveaux liens interpersonnels, se recréer des amis, un noyau dur, alors que je me définis toujours et encore comme peu sociable (mais j’y travaille).
Je sais que ces prochains mois vont passer vite, je pense déjà à la suite. Quelle sera la prochaine étape ? Quels projets pourraient nourrir mes neurones ? Hormis acheter un aspirateur Dyson et voyager si la situation le permet… Pour le canapé, c’est bon.
Tiens d’ailleurs, encore une mission qui démarre à la même période, celle où les commerces sont fermés ou réouvrent à peine, celle où les gens ont bonne mine. Est-ce de bonne augure ?
En quittant Maroua je posais l’éternelle question “et après moi ?”, en quelque sorte je prends ma propre relève. Il paraît qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même… vais-je être à la hauteur ? C’est ce que nous allons voir ensemble sur les mois qui viennent…