Déjà un mois.
Je pense que tous mes « premiers » anniversaires ont débuté par la même phrase.
Pourtant le rythme des journées se déroule en accordéon. Action. Attente. Rédaction. Attente. Visite terrain. Attente. Monter un département prend du temps. Je crée un réseau doucement, je saisis mieux les activités des programmes, je planifie mes prochains déplacements dans le pays. J’essaie d’avoir une vision « macro ». En vrai je patauge un peu aussi. Période d’échauffement.
Mes cheveux ont déjà perdu leur rose.
Le vide ne me dérange pas trop. Je laisse la solitude s’emparer de moi sans lutter. Peut-être que cela est plus simple lorsqu’on a déjà identifié quelques personnes toujours prêtes à m’accueillir chez elles pour partager un café comme une bière.
Contrairement à mon premier passage à Yaoundé début 2020, je n’ai pas encore vraiment cherché à découvrir la ville. Je procrastine un peu. J’ai du temps devant moi. Je ne suis pas encore allée au marché acheter des pagnes, je n’ai pas fait un seul musée, je n’ai pas testé la piscine du Hilton. On m’a proposé pédicure, on m’a proposé massage mais non. Je ne dis pas oui à tout. Ce n’est pas grave. Toujours pas de plantes vertes non plus. Je crois commencer à établir un sens de l’orientation dans ce dédale.
Je commence aussi à perdre mes cheveux. Mes ongles poussent très vite.
Je suis de loin le procès des attentats de janvier 2015.
En discutant avec un collègue qui travaille dans l’extrême-nord, zone « BH » comme on dit, il m’expliquant qu’au début de la crise, les personnes les qualifiaient de « méchants » mais maintenant ils utilisent le terme « nos enfants ». La crise dure, l’issue n’est pas visible. Les villages s’ajustent. Il raconte qu’il est donc absolument nécessaire d’être très prudent sur le vocabulaire qu’on est amené à utiliser dans les différentes communautés pour ne pas se mettre en difficulté (ni personnellement, ni l’institution).
Je compare la réalité des mineurs non accompagnés en France et ici. Ici, une organisation s’occupe d’accompagner ceux qui s’étaient exilés à revenir au Cameroun. Parfois, il y a des enfants de 7 ou 11 ans qui sont seuls à faire la traverser pour rejoindre un parent qui les a confiés à un passeur peu scrupuleux, les abandonnant en cours de route. Parfois il y a des jeunes hommes ne pouvant prouver leur âge qui se déclarent mineurs. Pas de radiographie du bras ici. Ils le disent alors ils le sont. Les mineurs sont en effet prioritaires sur les démarches. Cependant, lorsque certains découvrent la complexité du système pour retrouver les attaches familiales, ils se retirent des démarches administratives ou deviennent majeurs.
J’ai parfois l’impression d’être au début du parcours de ce que j’avais pu vivre à Paris sur ma précédente mission. Nous collaborions avec des associations parisiennes qui pour beaucoup soutenaient des réfugiés de tout horizon. Pour des raisons politiques, sécuritaires, économiques il y a ici, ces personnes qui fuient pour un avenir différent et tout l’espoir qu’il suscite. Je repense alors à ma collègue qui me racontait l’histoire du père de son enfant.
La fuite.
Ça aussi c’est un thème cher à ce blog.
Sur mes précédents « premiers anniversaires », j’évoquais surtout le décalage, la perte des repères, le vertige de la géographie. Je ne le ressens pas vraiment où en tout cas je n’ai pas l’impression de m’y confronter. Soit j’ai une carapace cette fois qui me rend imperméable, soit ce premier passage en début d’année me rend plus familière avec cet environnement. Après tout ici on trouve aussi des supermarchés carrefour et casino, je n’ai plus la surprise qu’offre le régime d’Afrique centrale (à savoir la multitude de fruits délicieux et des avocats de la taille de mon pied – je chausse du 40), tout le monde parle français, les playlists dans les bars sont quasiment exactement identiques qu’à Bangui. J’ai l’impression de connaître mes collègues depuis longtemps, je prends mes marques sur mon poste et me sens soutenue. Un environnement assez plaisant. Je ne vois pas le renoncement que je ressentais lors de mon premier Birmaniversaire, je n’éprouve pas ce découragement comme au premier Jordaniversaire…
La richesse de ce type de job tient vraiment dans cette ouverture au monde qu’il offre. Le Cameroun est un contexte d’autant plus intéressant qu’il traverse (malheureusement) des crises très différentes. On apprend tous les jours. J’ai la joie de pouvoir travailler et en français et en anglais. Il n’y a que très peu de coupures de courant. L’humidité est présente mais les températures restent agréables (pour le moment).
C’est un peu comme si j’étais déconnectée, un mode automatique. Je flotte d’un jour à l’autre sans réaliser vraiment que le temps passe. J’aime dire que c’est bientôt Noël.
Un « bientôt Noël » par 30 degrés.
Allez, ce mois-ci, j’achète des plantes et des pagnes…