Banguiversaire 2

Je combine banguiversaire 2 et article hebdomadaire (petite triche) mais cette semaine a été plutôt particulière. Enfin commençons plutôt par la fin.

Depuis quelques temps courent des pétitions à l’encontre du Président de l’Assemblée pour sa destitution (je la fais courte) pour des prétextes de malversations diverses (vraies ou fausses, là n’est pas la question). L’un des soucis étant qu’il est de religion musulmane et que le passé a montré comment des clashs sous couvert de religion pouvaient dégénérer (seleka, anti-balaka etc.). Vendredi, dès midi, tout le monde était sur son téléphone pour écouter la retransmission en direct. Au bureau, chaque collègue se promenait une oreillette d’un côté pour suivre les événements. Il y avait un effet « radio Londres ». Parfois, plusieurs gloussaient d’un coup avant de me dire où en était la séance.  Il y avait de l’électricité dans l’air, de l’inquiétude aussi. Nous, entre expat, on plaisantait sur le fait d’être confinés, de penser à manger beaucoup à midi au cas où, on se demandait quelles affaires emporter en cas d’évacuation (dans ces cas, nous n’avons le droit qu’à un sac à dos). La séance s’est finie vers 18h… avec le vote pour la destitution du Président de l’Assemblée. Nous étions 2 à la piscine à 17h30, le rock club était vide. Notre couvre-feu a été revu pour l’occasion et nous ne pouvions fréquenter que 3 lieux ce soir-là et devions être rentrés pour 23h00. Le lendemain, la vie a repris son court presque normal… pour le moment en tout cas.

Sur une touche plus mignonne, cette semaine a aussi été animée par l’expérience de la « bête de la piscine » (ainsi qualifiée avec une collègue de natation) qui nous auraient « mordu » l’une et l’autre. Si bien qu’en sortant de l’eau, l’un des maître-nageur me demande si tout s’est bien passé, je lui explique qu’il y a une bête dans l’eau. Alors il me dit de retourner me baigner, de trouver cette bête et de la tuer car « si une bête te mord, tu dois la tuer et la manger ». Puis on continue de plaisanter ensemble (même s’il était tout à fait sérieux sur son conseil) et nous dévions sur les bienfaits du sport, qu’il faut en faire toujours plus car « un homme bien portant est un malade qui s’ignore ».

Si je continue de remonter dans le temps, une autre anecdote mignonne provient d’une de mes visites terrain. Je consultais le registre des admissions d’enfant malnutris lorsqu’un prénom m’interpelle « Point Final ». Je plaisante auprès d’une collègue qui m’explique alors que la mère ayant déjà eu 4 enfants souhaite que le cinquième soit bien le dernier d’où « Point Final ».

Y’a pas à dire, les anecdotes ne manquent pas. J’ai ainsi pu quitter la phase de bougonnerie (même si je reste potentiellement irritable) pour passer à un état plus stationnaire, inscrite dans le déroulement d’un quotidien presque classique. Ainsi, je me suis mise à me faire des tenues et accessoires en pagne, je renouvelle mon abonnement à la piscine sans réfléchir, je ne vois pas les journées passées, ni les semaines d’ailleurs. Mon poste m’intéresse toujours autant et je commence à entrevoir quelques petites pistes pour laisser une empreinte et fluidifier le travail même si la charge est toujours plus importante (fin d’année oblige). La maison est un peu moins surchargée, les températures sont chaudes, la tortue dort, la saison des pluies toujours là. D’ailleurs, c’est difficile de réaliser que dans 2 mois c’est Noël, que je serais très certainement ici pour les fêtes. Il y une bulle autour de Bangui, on voit toujours les même têtes d’expat, les soirées se ressemblent, nous allons toujours aux mêmes endroits mais il y a aussi un certain confort, même la solitude est reposante. L’aller-retour à Paris en septembre avait réussi à me déstabiliser, la perspective du break début novembre me questionne un peu. A la fois je sens la fatigue s’accumuler et sais qu’une pause sera salutaire mais je ressens aussi l’inquiétude de rater quelque chose, de prendre du retard, de reperdre cet équilibre fragile d’expatriée, jonglant entre deux mondes à la fois.

Alors quels sont les signes d’adaptation après 2 mois ? Prendre RDV avec les couturiers, accumuler des bibelots à emporter à la maison, y voir plus clair au travail… mais je ne me fais ni aux piqûres de moustiques ni aux braillements des chèvres au milieu de la nuit.

Entre les orages

Les semaines filent les unes après les autres, les journées se prolongent et la to-do list ne se réduit pas. Cependant, cette semaine, un événement original avait lieu, un match RCA/Côte-d’Ivoire. Mardi, dès le lever du jour, le drapeau s’affichait partout, l’effervescence agitait les collègues qui ont pu quitter le bureau une heure plus tôt et filer voir la deuxième mi-temps à leur façon. De ce fait, nous avions interdiction de circuler dans le centre-ville entre 16h30 et 18h30 au cas où.

Bon, ils ont perdus.

Autre curieux événement, la venue de la chanteuse Joss Stone à Bangui pour un concert exceptionnel à l’un des bars de PK0 avec une grande terrasse ouverte sur la rue . Là non plus, sécu oblige, nous n’avons pas pu y aller.

Entre deux réunions j’ai pu passer du temps au centre pédiatrique de Bangui, le seul hôpital suffisamment équipé pour gérer les cas compliqués. L’unité nutritionnel thérapeutique est la référence du pays et la fréquentation s’en ressent : plusieurs enfants par lit, équipe médicale surchargée, accompagnants angoissés ne comprenant pas la prise en charge. Nous avons donc des abandons de prise en charge dû à l’isolement de l”hospitalisation (certaines mères viennent de très loin avec très peu de moyen) parfois dû aux guérisseurs traditionnels (elles préfèrent cette prise en charge à la médicalisation) et parfois à cause des pressions familiales (les maris menaçant de prendre une autre femme si la concubine reste au chevet de son enfant malade). L’objectif est ici de prendre en charge les cas de malnutrition aiguë sévère, les enfants étant parfois dans des états vraiment critiques.Comme dirait ma mère, c’est comme dans les pub UNICEF. Par exemple il y avait un bébé de 6 mois qui avait la taille d’un prématuré, dont on pouvait voir le cœur battre fort à travers sa fine couche de peau, entre ses côtes, luttant contre son sort. A ma surprise, il y a aussi beaucoup de cas d”infirmité motrice cérébrale. Là où les choses se compliquent c’est qu’il n’y a pas de kinésithérapie en RCA. Certains des enfants avaient déjà des âges avancés et il me semblait compliqué de permettre une amélioration de leur état juste par psychostimulation. Car c’est non seulement un pays confus et complexe, c’est aussi un pays qui n’a rien.

Alors on fait avec ce qu’on peut.

Et pour la semaine à venir, nous animons justement une formation avec l’équipe nutrition à l’attention des guérisseurs traditionnels. L’occasion d’échanger avec mon équipe sur les pratiques prônées par les tradipraticiens pour gérer la malnutrition ou accompagner les femmes enceintes… et c’est parfois édifiant. Il ne va pas être évident de respecter les traditions pour favoriser doucement le changement et de ne pas s’insurger face à des pratiques telles que la scarification des enfants pour “chasser” la maladie du serpent (liée à une forme de malnutrition attribuée à une consommation de serpent par la mère durant sa grossesse ou l’allaitement).

Ce week-end a été marqué par l’envie de solitude et je me suis donc isolée à la piscine du seul hôtel de “luxe” le temps d’un samedi. Sur le trajet, nous discutons avec le chauffeur, il me demande combien de frère et sœur je possède. Je lui réponds 2. Il s’étonne que nous ayons de si petites fratries de notre côté du monde. Je lui retourne la question en m’attendant à 8 ou 10 et là sa réponse : 26 ! 26 frères et sœurs, difficile de rivaliser effectivement. Je n’ose pas demandé combien de mères différentes mais de lui même il précise qu’ils viennent tous du même père. Je demande alors combien de mères, il me répond : 6 ou 7…

Et malgré justement le fait d’avoir grandi avec un frère et une sœur à la maison, j’ai toujours autant de patience pour les affaires de colocation… La maison est pleine à craquer, je me fais discrète. Les différentes personnalités qui se mêlent à la fatigue peuvent occasionner des tensions, des prises de becs, des incompréhensions. Je suis la Suisse. Petite ermite.

Et en rédigeant cet article, j’attendais mon tour pour lancer ma lessive…

2ème phase

J’ai pris du retard dans les publications… voici celle qui aurait du partir en début de semaine !


 

Il semblerait que j’ai entamé la deuxième phase de l’expatriation, celle où le moral chute et où la tension monte, d’où son nom « phase de crise ». Bon c’est peut-être un peu fort comme dénomination mais je dois avouer qu’à certains moments j’étais dans des états proches de la crise. La littérature explique que cette période arrive après la fameuse lune de miel, lorsque les contrastes avec la culture d’origine viennent déstabiliser l’adaptation à un nouvel environnement. Chez moi, cela se traduit malheureusement par une inquiétude très vive de mal faire mon travail, par un manque de perspectives sur les enjeux de mon poste, par la frustration de galérer face à de nouveaux outils de gestion de projet. Pas simple de redémarrer une nouvelle carrière professionnelle avec une nouvelle ONG quand on a goûté aux joies d’être très à l’aise sur ses postes précédents. Je pense qu’il y a sans doute un peu aussi une forme de fatigue qui s’accumule jusqu’à faire basculer sur l’envers du décor, une fatigue intellectuelle de devoir s’adapter et d’apprendre tant en si peu de temps, une fatigue physique dans le changement des habitudes et dans les piqûres de moustiques, une fatigue émotionnelle.

Pourtant il y a de bonnes sources de revitalisation : les poules et les lapins du jardin (la tortue a été très discrète cette semaine), la beauté du paysage face à l’Oubangui, le soutien de mon adjoint. Mais je me vide plus vite que je ne me ressource.

Cette fin de semaine a été l’occasion de découvrir un nouveau lieu des soirées de Bangui : le Casablanca. On y sert couscous (non-testé) et alcool de bonne qualité (oui, ici, il y a souvent de l’alcool frelaté), il y a un potager, des fresques murales, des balançoires et même un trampoline (non-testé). L’ambiance y est joyeuse et moins oppressante qu’au Balafon (entendre par là : moins de militaires), du moins pour le moment. Et puis les conversations un peu plus sérieuses sur la consternation qu’on peut parfois avoir face à un avenir qui semble sans issue ici, mon voisin de table soulignait qu’effectivement, ici, c’est un peu être comme un Moyen-Âge, mais que malgré tout, à une échelle même minime, même si une durée courte, chacun de nous apporte sa contribution. Qu’est-ce qu’une mission de 6 mois ou plus à l’échelle des dizaines et dizaines d’années (en scenario optimiste) qu’il faudra au pays pour sortir de cette situation ? Peu, quasi rien. Mais déjà ça.

Samedi matin, j’ai été conviée à la cérémonie de lancement d’une ONG locale dédiée à la santé mentale. Les premiers psychologues diplômés de l’Université de Bangui sortent et s’activent, un besoin nécessaire et une démarche à soutenir. A voir comment ils vont se développer car en écoutant le discours du coordinateur de l’ONG, le doute m’habitait. Les activités de l’ONG couvriraient à peu de choses près tout ce qu’il est possible de réaliser en santé mentale (de la thérapie de couple au traitement du psychotraumatisme en passant par la psychopathologie de l’enfant et l’accompagnement aux activités générant des revenus) : l’ambition est bien là, la folie des grandeurs pas très loin non plus. J’étais la seule blanche. J’ai dû improviser un discours… j’ai élaboré sur les blessures invisibles (pas mal pour un samedi matin !).

On s’accroche.

On rame aussi.