Une semaine polonaise

Je raccroche avec ma mère en lui disant « bon je vais essayer de faire un Gisèle ce soir ». Me voilà donc en Pologne, à Varsovie, pour 3 semaines. Les premières 24h sont toujours une énorme source de stress sur place. Mais les imprévus ont démarré dès mon transit depuis Yaoundé pour Paris : samedi, réveil très matinal, le chauffeur nous prend à 5h du matin avec une collègue. Direction nos sièges au fond de l’avion. Première annonce : 20 minutes de retard pour panne mécanique. Deuxième année : 30 minutes de retard. Troisième annonce : la panne est réparée mais le coffre du réacteur ne se referme pas correctement. Quelques heures plus tard une nouvelle annonce : les pilotes ont dépassé leur temps autorisé. Vol annulé.

10h après s’être dirigées vers l’aéroport, nous voilà toutes les deux à déjeuner au Hilton de Yaoundé aux frais d’Air France. Pour 6 heures d’attente dans l’avion, nous méritions bien cela. Dimanche, départ à 3h30 cette fois de l’hôtel pour l’aéroport. L’avion décolle vraiment. Autant dire que je n’avais jamais autant dormi dans un vol de jour. Arrivée à la maison, dîner avec la maman, quelques pulls dans la valise et me voilà reparti pour la Pologne. Devant mon café au lait : « mais qu’est-ce que je fais encore ? ». Le Cameroun est devenu ma zone de confort, mes habitudes, ma vie sociale, mon développement professionnel. Et me voilà, à bousculer tout ça pour 3 semaines.

Déjà à l’aéroport de Roissy, en zone d’embarquement, les polonais soutenant les ukrainiens s’affichent avec des tee-shirt ou des rubans jaunes et bleus sur leur veste. Je débarque à Varsovie en fin de journée, les deux collègues m’attendent pour diner et j’ai cette petite boule au fond du ventre que je connais très bien.

Rencontre avec le partenaire local, atelier de réflexion avec d’autres organisation (nationale et ONG) depuis l’un des sites de « réception » des réfugiés à la gare Est de Varsovie, je plonge directement dans les réalités de ce quotidien bousculer par le conflit. Les décalages sont nombreux et l’autre soir en rentrant avec une collègue nous nous disions « mais c’est fou quand on pense à ce qui se passe dans le pays d’à côté », les jeunes polonais s’enjaillent (et ils ont raison !), les restaurants foisonnent et en même temps je vois ces femmes et leurs enfants avec leurs valises contenant une vie attendre d’être orientées.

Une ukrainienne actuellement sous contrat avec une ONG expliquait qu’il y avait eu trois vagues : ceux qui ont eu peur et ont fui directement, ceux qui ont tenu mais au moment où ils ont été impactés directement ils ont fui, ceux qui ont tenu, ont été impactés mais sont restés jusqu’au bout pour finalement fuir. On imagine alors l’état de la santé mentale de ces vagues successives. Un homme présent rajoutait aussi qu’il y avait un lien avec le niveau socio-économique : ceux qui ont pu partir immédiatement en ayant les moyens et ceux qui n’avaient pas le choix que de rester faute de ressources suffisantes.

Etonnamment la semaine est passée à la fois lentement et rapidement. Je vois clair sur comment soutenir et mon expérience sur la mission France lors du COVID-19 me permets de proposer des pistes de réflexion. Ici il y a des psychologues, des associations, un système de santé. Nous ne sommes donc pas en substitution mais en soutien pour les accompagner sur des modalités de prises en charge « humanitaires ». Les psys ont l’habitude d’avoir leur patient installé, en face, ils prennent le temps. Mais comment adapter cette clinique face à des personnes que nous ne verrons qu’une ou deux fois ? comment proposer un soutien ayant un impact rapide ? c’est là où notre expertise du terrain est pertinente. C’est là où moi-même je me sens un peu plus légitime.

Bon, je dois finir de rincer mes chaussettes dans le lavabo de l’hôtel.

Et me reposer un peu.

Camerouniversaire 5 (en retard)

Une vue sur les Alpes depuis mon hublot à la mi-janvier, le trajet du retour déjà. Petit break, gros dodos. Le Sahara est toujours aussi beau vu d’en haut. Je me remets à moitié dans le bain, télétravail COVID oblige même si je doute de son utilité étant donné qu’il y a 3 semaines encore j’étais positive. Une collègue est quand même venue me voir à l’appartement pour me saluer chaleureusement.

Le moral se fait petit. La maison n’est plus la même sans Caroline. Je ne sais pas avec qui faire un pacte de l’apocalypse du coup. J’ai planté mes graines de fleurs, accroché mes fanions partout dans le salon, ajouté des photos aux murs, essaye de rendre l’espace plus agréable. Je vais récupérer des coussins que ma couturière a réalisés durant mon absence. Peut-être que le cocooning est propice à l’apaisement. Figurez-vous que j’ai aussi fini par acheter des plantes !

Je retrouve la bande des zouzous quand même et cette routine, ces propositions de projets, ces fins de programmes, ces débuts d’autres… mais cette fois j’ai l’odeur du thé earl grey french blue de Mariage Frères qui parfume mon bureau depuis ma tasse.

Retourner au bureau c’est un peu comme retourner à l’école : j’ai l’impression que cela fait bien longtemps que je n’y ai pas mis les pieds ! Et rapidement on reprend le pli.

Le week-end je retrouve la piscine. Je retrouve les bars mais le cœur y est moins. Le sentiment d’une catastrophe imminente, une angoisse que je n’arrive pas à saisir pleinement. Je me réveille anxieuse sans cause définie.

Je discutais avec un ami de mon sentiment de flottement et il me disait, avec son accent italien à couper au couteau « mais tu étais où y’a un an ? et tu seras où dans un an ? » et il visait juste. Le sujet de l’instabilité géographique et de son impact sur les relations est revenu dans les conversations avec deux autres amis. Nous partagions le même constat que nous n’avions pas les compétences pour maintenir une relation à distance (et pourtant j’ai essayé de m’en convaincre !). Un autre italien m’expliquait être au Cameroun depuis 25 ans et qu’avec le temps, même ses relations amicales avec les gens de la fac se sont estompées, que les chemins se sont éloignés. Je pensais alors à mon noyau dur d’amis, les quelqu’uns qui comptent vraiment en espérant ne pas connaître le même sort. Bon après je ne compte pas vivre 25 ans à l’étranger.

Où trouver le réconfort ? Mettre des huiles essentielles sur son matelas avant de se coucher, regarder mes fleurs pousser, marcher dans le quartier et être saluer chaleureusement par des inconnu.e.s, se faire une salade avec plein de bons légumes (et des tomates qui ont le goût de tomates), craquer et acheter du Haloumi, faire encore du jus de bissap.

Parfois ça ne suffit pas. Alors on pense à Kribi. On espère éviter morsures, piqures, brulures. On repense à des souvenirs agréables.

Au bureau, cela fait déjà 5 mois (oui je sais je n’ai pas écrit mon Camerouniversaire 4 et avec du retard pour le Camerouniversaire 5…) et je suis à l’étape de soumettre des propositions de recherche en psychologie, ce qui est carrément intéressant. J’ai une certaine liberté de créativité et ça me plait. J’ai au moins cette chance.

J’ai aussi cette chance de ne pas être dans un contexte COVID lourd et contraignant, au pays de « la maladie des blancs ». Tout est accessible, tout est ouvert. « Notre système immunitaire est plus fort que les vôtres ». Pas de masque obligatoire, sauf au bureau. « J’ai sans doute déjà eu la maladie mais sans symptômes ». Pas de distanciation sociale. « On a l’habitude de ces maladies, on a tellement pris d’anti-paludique qu’on n’attrape pas la COVID ». A peine le gel hydroalcoolique, sauf au bureau. « Personne n’en meurt ici, pas comme en Europe ».

La montagne…

La précédente semaine avait un air de « groundhog day », les jours se suivent et se ressemblent. Je suis derrière mon bureau à travailler sur l’atelier stratégique que nous menons bientôt avec l’équipe coordination, nous avons une nouvelle proposition de projet à préparer aussi, je procrastine sur d’autres sujets n’ayant pas tellement l’inspiration. Je dors mal alors après plusieurs nuits ratées je cède à l’atarax et puis je passe la journée suivante les neurones dans le coton en attendant les matinées où le réveil ne sonne pas. Heureusement que je vais pouvoir (enfin) bouger sur le terrain et retrouver sa dynamique et le couvre-feu de 21h sera propice à la routine du coucher en limitant mes mouvements.

J’ai du mal à croire que nous sommes déjà en novembre. Quand je lis les articles, je me replonge en avril : confinement, nombre de morts, impact psychiatrique…Pourtant ici aussi c’est la saison des clémentines (sauf qu’elles sont vertes comme des citrons verts).

Le trajet pour le Sud-Ouest semble bien long, je lorgnais sur la vitesse qui oscillait entre 50km/h et 80km/h sur l’axe national, sans trop de trafic, avec nettement moins de voitures accidentées (il ne pleuvait pas à torrent) et avec aussi moins de pangolins. Je note cependant une hausse de bêtes non identifiées, un mélange entre le physique d’une mangouste et la taille d’une marmotte. Plus de 7h de trajet plus tard, me voilà de nouveau face au Mont Cameroun qui se laisse entre apercevoir entre les nuages. Contrairement à la fois précédente, je ressens la petite boule au ventre, celle qui indique que je sors de ma zone de confort.

Pourtant il est bon de sortir de la ville et de sentir certains tracas s’éloigner en même temps que la nature défile sous mes yeux. Toujours aussi verdoyante, nous entendons même le champ des oiseaux sur la nationale (surtout quand nous roulions à 50km/h…). C’est aussi rejoindre d’autres préoccupations.

Justement, les aléas de la vie du terrain ont bousculé mon planning. Certains aléas sont prévisibles (un RDV annulé ou décalé, un budget qui tombe…) d’autre nettement moins. Notamment lorsqu’un collègue fait une crise de stress/angoisse/colère/tristesse pour être évacué dès le lendemain sur Yaoundé. Un bon rappel sur l’importance de la santé mentale et du soutien qu’on peut s’apporter les uns les autres dans des contextes parfois rudes. Et le Sud-Ouest est un environnement rude. L’escalade de la violence inquiète, pèse. Ces environnements où nous devons aussi apprendre à être attentif à l’autre, à ses petits changements qui peuvent indiquer que le stress monte. Nous ne sommes pas tous équipés de la même façon pour l’affronter. Et lorsqu’on ajoute le déracinement, la mèche est plus courte avant l’explosion.

Le temps que l’affaire se règle, nous avons quitté le bureau plus tôt et sommes arrivés plus tardivement le lendemain. Je dois avouer que la mission a géré cela avec beaucoup de respect pour chacun. Le reste de la journée a eu l’air d’un trajet Yaoundé / Buéa : bouchons / prise de vitesse / bouchons / vitesses… pour finalement l’étirer jusque dans la nuit pour rattraper le temps suspendu.

Cependant au terme de cette visite terrain, nous avons pu réfléchir au nouveau protocole thérapeutique que nous allons tester ici maintenant que l’équipe a été formée par le siège. J’ai continué de créer des liens avec d’autres structures pour nous aider à orienter les personnes selon leurs besoins car oui, il ne faut pas croire que les ONGS (nationales comme internationales) sont cloisonnées dans leur champ d’activité. Nous coordonnons nos réponses pour apporter toute l’aide nécessaire. Par exemple pour une femme victime de viol, elle va peut-être rechercher de l’aide médicale pour ses blessures physiques, on peut lui proposer un appui psychologique, l’orienter vers une structure pour un soutien légal, lui proposer un abri sûr, l’inclure dans un listing pour recevoir une aide alimentaire… autant d’actions par autant d’acteurs. Dans certains contextes les ressources sont très limitées. En RCA c’était très compliqué d’orienter les personnes. Ici, il y a de très nombreuses structures, des spécialistes tout de même. Cependant s’ajoutent les problèmes d’accès en lien avec la sécurité mais aussi la pauvreté (difficile de se rendre d’un point à un autre). Et puis il faut aussi penser que tous ne saisissent pas toutes les options. Dans le cas de viol, cela est particulièrement compliqué du fait de la stigmatisation. Pour le soutien psychosocial aussi, en général, c’est compliqué. Nous entendons souvent sur le terrain que les gens sont habitués à ce stress. Pourtant, nous, cliniciens, nous savons pertinemment les effets de ce type de crise à moyen et long terme, tant au niveau individuel qu’au niveau de la société. Pour ouvrir cette porte, il y a encore tout à faire. Et aussi, dans un contexte de pauvreté et face à l’afflux de services, les personnes n’ont pas d’intérêt pour nos activités car nous ne « donnons » rien de concret. Participer aux groupes de paroles c’est autant de temps qui n’est pas dédié à leurs activités génératrices de revenu… ce qui se comprend totalement. Alors bien entendu, nous avons tout de même des femmes, des hommes, des enfants qui participent à une ou deux sessions. Nous apportons ce que nous pouvons. Nous verrons ce que nous arrivons à mettre en place pour sensibiliser petit à petit les communautés sur l’importance de la santé mentale.

On y revient.

Une collègue ici m’expliquait qu’elle a réalisé tout récemment l’importance du soutien social. Elle vient d’une autre région du Cameroun et n’a finalement pas de liens dans le sud-ouest. La semaine passée, elle a été hospitalisée après un malaise et elle me racontait qu’il n’y avait personne pour lui apporter un change ou même à manger. Elle est rentrée chez elle un soir durant son hospitalisation pour justement se nourrir, raser ses cheveux tressés et est retournée poursuivre sa perfusion. C’est là où elle a eu le déclic. Elle a attendu un peu trop mais souhaite réagir dorénavant. Elle a choisi de se rapprocher d’une paroisse pour créer des liens, trouver son soutien social.

Je pensais alors à ce stress qu’on s’impose à chaque expatriation et à la chance que j’ai eu finalement de me lier avec des personnes assez rapidement sur chaque mission. On quitte tous nos repères et il est vrai que les liens qui se créent sur le terrain sont bien plus intenses rapidement que les amitiés classiques qui se construisent dans le temps. Et on le sait… que reste-t-il une fois de retour chez soi ? Le terrain me rend un peu parfois bipolaire : l’excitation / la tristesse / la joie / la colère, un yoyo dont les pics peuvent être très hauts et la chute très grande. Mais on tient. Je sais que je peux compter sur ma colloc-collègue. Je sais aussi que je peux poser ma tête à distance sur les épaules de mes ami.e.s en France.

Ma prochaine visite pour le Sud-Ouest sera pour 2021 maintenant, si la situation le permet. Ce mont Cameroun va certainement me manquer. Cette montagne solide, jouant à cache-cache dans le brouillard. Une montagne qui nécessite un regard panoramique pour la détailler d’un bout à l’autre.

Un point d’ancrage.

Elle, elle ne bouge pas. Sereine et respectuesue.

A l’année prochaine belle et réconfortante montagne.