La plaque et moi.

Ça y est, je le ressens, ce sentiment d’être à côté de la plaque, à côté de mon parcours de vie, de subir une situation. Je disais souvent que le premier mois de l’expatriation il faut dire « oui » à toutes les propositions pour animer les temps morts. Samedi soir, une copine me propose d’aller dîner au moment où je m’apprêtais à éplucher mes patates. Après une journée plutôt maussade, une partie de moi voulait moisir dans cet état d’esprit mais la raison m’a rappelé ce conseil et les rires ont animé la soirée.

Physiquement, cela se traduit par une énorme fatigue, le genre de fatigue qui vous pousse à vous recoucher après votre petit-déjeuner, le genre de fatigue qui amène à faire des siestes de plusieurs heures.

Moralement, il s’agit plutôt de se sentir loin de tout, de ne pas savoir avec qui partager ses états d’âme, de ne pas vraiment savoir quoi faire de soi, de ses pensées. Je me projette alors déjà dans les congés prévus tous les 3 mois sur cette mission juste comme une bouée en attendant de pouvoir nager sans.

Est-ce dans mon corps ou dans mon esprit ?

Une solution : travailler, occuper ses neurones. Sauf que les débuts de missions sont souvent un peu en accordéon, la charge de travail n’est pas encore homogène sur une journée car les éléments viennent au fur et à mesure. J’ai proposé pas mal d’outils de suivi sur les projets mais il faut attendre les retours des terrains et ça prend de fait aussi du temps. J’attends les disponibilités de plusieurs de mes homologues d’autres ONG ou d’agences des Nations Unies. Et puis, il faut saisir les problématiques de chaque programme et pour le moment il n’est pas possible d’aller sur certains sites, sécurité et saison des pluies obligent. Aussi, il n’y avait personne avant moi donc il faut tout commencer à zéro : contacts, réseaux, idées, opportunités… tout ça dans un environnement où la santé mentale n’est pas très reconnue ni valorisée (enfin cela est mon jugement assez hâtif sur ce que j’ai vu et entendu au bout de 3 semaines ici même si cet article confirme cela).

Dans cet effort de socialisation, je me retrouve donc un dimanche soir avec une copine d’une autre ONG et un de ses voisins travaillant pour une société privée. Elle demande à combien s’élève sa facture d’électricité car elle s’inquiète de payer beaucoup (30 000 FCFA par mois). Il explique qu’il ne gère pas car tout est pris en charge par la compagnie mais que ça doit tourner autour de 200 000 FCFA… nous faisons donc les gros yeux et il explique qu’il a 3 climatiseurs qui tournent non-stop + tel et tel appareils ménagers + je ne sais plus quoi… Là où ça devient intéressant c’est qu’il explique ensuite être propriétaire d’un terrain vers Kribi mais qu’avec la montée des eaux, deux maisons qui se trouvaient en bord de mer sont devenues inhabitables.

Personnellement j’y vois un peu l’effet du karma contre la nature.

Il commente donc le réchauffement climatique sans jamais faire le lien entre sa consommation grotesque d’électricité et les dommages qu’ils peuvent provoquer à grande échelle.

Qui plus est que les températures sont très agréables en ce moment, voire fraîches la nuit, mais le nœud dans le ventre est toujours là.

Pourtant on peut mettre un peu les choses en perspective et parfois je vois dans ce nœud un caprice de jeune fille gâtée. Surtout lorsque je discute avec une collègue et qu’elle m’explique ses difficultés conjugales. Son compagnon est parti du pays alors qu’elle était enceinte de quelques mois. C’était il y a un peu plus de deux ans. Il est à présent sur une île de la méditerranée. Il a mis 2 ans à faire ce parcours (je n’ai pas demandé son itinéraire devinant les horreurs qu’il a dû rencontrer). Il espère trouver un emploi et reprendre ses études. Sa compagne est plus terre à terre et ne comprend pas vraiment ce qui l’a poussé à quitter son pays alors qu’elle voit toutes les difficultés qui l’attendent « un diplôme ici ça ne pèse pas là-bas ». Pour elle c’est dur mais elle est entourée de sa famille. Elle aimerait qu’il rentre mais ce n’est pas dans ses projets à lui. Ma jolie collègue avec ses larges pommettes et ses cheveux tout court qui me partage sa peine…

Bon, il y a aussi des moments de vie au bureau plus cocasse, comme par exemple lorsqu’une autre collègue décide de ne manger que des carottes derrière son ordi: “je mange bio pour maigrir”. Je ne suis pas rentrée dans le débat.