C’est après quelques descentes de ski que j’entame la rédaction de ce banguiversaire pour le publier avec quelques jours de retard (mea culpa). Je passe des 37 degrés banguissois à probablement -10 en haut des pistes savoyardes. Une pause bien méritée prise avec quelques semaines de retard… Pourtant, vendredi après-midi, j’avais de nouveau le cœur serré de laisser mon équipe pour 2 semaines. 5 mois, c’est la stabilité, comme une descente assurée sur des skis robustes. Je connais ma direction contrairement au début de la mission. D’ailleurs, la crainte de chausser des skis des précédentes années à laisser place à une nouvelle motivation. Dans le télésiège, je demandais si la motivation seule suffisait à ne pas chuter. A Bangui, il est clair qu’elle ne suffit pas. Sur les pistes, cela semble mieux s’adapter. Je n’hésite plus. Il y a cette intrépidité nouvelle, comme si j’étais plus enclin à me tester. Est-ce un acquis de Centrafrique ? Repousser les limites professionnelles et tester de nouvelles idées, repousser les limites physiques et dévaler les pistes sans tomber. Aller plus loin. Tester son endurance. Et d’ailleurs, je craignais que le fait de ne pas pouvoir marcher à Bangui me joue un mauvais tour une fois que je quitterai les télésièges. Il semble que non. J’avance face à la vie qui défile.
En montant dans l’avion pour Paris, je réalisais la chance que j’avais de pouvoir vivre cette expérience et d’acquérir chaque jour de nouveaux savoirs. Alors forcément, se pose déjà de nouveau la question de la prolongation. Car il y a tant à faire. Mais la vie à Bangui peut-être aussi épuisante. La superficialité de la vie sociale, le turn-over naturel des missions, les périodes de tensions, les maladies non identifiées. Difficile d’être objectif quand la raison et l’émotion s’entremêlent face à une décision à prendre. Rester et consolider une expérience, rentrer et se recentrer. J’ai aussi pu remarquer la façon dont mon équipe a accueilli ma prolongation. J’ai gagné en légitimité, plus que les responsables de programme qui font leurs 6 mois et s’en vont. 2 mois de plus ce n’est pourtant pas grand-chose mais pour eux, l’implication est là et notre collaboration plus forte. Mon adjoint me disait avoir vu 13 ou 14 responsables de programmes défiler depuis qu’il travaille chez ACF, sur quelques années. Certains sont restés quelques mois, d’autres presque un an. Autant de style, de méthodes professionnelles différentes. Et face à cela, une équipe qui doit sans cesse d’adapter à ces nouveaux managers. 8 mois, ça me semble si court. 9 mois me semblait bien long en Birmanie, 7 mois suffisaient en Jordanie.
Les chantiers n’en finissent pas, prévoir des réhabilitations d’espace, voir la construction se finaliser au complexe pédiatrique (financée par le Vatican !), former l’équipe sur la psychomotricité, harmoniser les pratiques sur le terrain, pousser à la planification des activités… En théorie 3 mois pour finir tout ça. Envie d’apporter ma touche, de laisser une méthode, d’appuyer l’équipe sur le long terme, même quand je serai loin. Pourtant je sais que face à ce contexte, tout peut basculer du jour au lendemain. J’essaie de porter leurs revendications mais seront-elles pérennes ?
« Leur vie est une peine, un tourment qu’ils supportent avec une endurance et une sérénité stupéfiantes »
Ryszard Kapuscinski – Ebène
Ce mois-ci, j’ai été un peu moins sur le terrain. A la fois parce qu’il y avait beaucoup à faire au bureau, parce que j’avais été malade et sans doute aussi pour rependre un peu mon souffle face à des cas difficiles durant la fin d’année. Il faut savoir qu’en moyenne, un centrafricain est confronté à 7 événements traumatiques dans sa vie, c’est-à-dire 7 événements le confrontant à la mort – témoin ou victime directe. Je n’ai manifestement pas la même endurance et tente de m’en protéger parfois pour justement pouvoir les épauler sans m’effondrer avec eux. 7 événements. C’est plutôt difficile à réaliser. Cela concerne aussi bien nos bénéficiaires que mon équipe. Je sais que le passé de certains a été très compliqué mais ils sont là, avec cette « sérénité stupéfiante » et ça force le respect. Je relative ma petite vie de parisienne tracassée. J’apprends d’eux.
Alors, en cette période de break, j’ai un peu envie de dire “profitons donc des belles choses que la vie dépose sur notre chemin”.